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Frédéric Bazille
1841-1870

Le catalogue raisonné numérique

par Michel Schulman
© Musée d'Orsay, dist. RMN-Grand Palais/Patrice Schmitt

L'Ambulance improvisée

1865
Huile sur toile
47 x 62 cm - 19 x 25 1/2 in.
Paris, Musée d'Orsay, France - Inv. RF 1967-5
Dernière mise à jour : 03-04-2022
Référence : MSb-17

Historique

Peint à Chailly à l’auberge du Lion d’Or en août 1865 - Famille de l’artiste - Marc Bazille, frère de l’artiste - Mme Meynier de Salinelles, sa fille - Mme Penchinat de Salinelles - Vente Paris, Palais Galliéra, 14 juin 1967 (Préempté par les musées nationaux), non numéroté - Paris, musée d’Orsay, 1986.

Expositions

Paris, Grand Palais, 1910, Rétrospective Bazille, n° 2 - Paris, Palais du Louvre, Pavillon de Marsan, 1922, Le décor de la vie sous le Second Empire, n° 20 - Montpellier, Exposition internationale, 1927, Rétrospective Bazille, n° 4 - Paris, Association des étudiants protestants, 1935, n° 1, pl. 1 (repr.) - Grenoble, musée-bibliothèque, 1936, Centenaire de Fantin-Latour, n° 506 - Paris, galerie des Beaux-Arts, 1937, Naissance de l’impressionnisme, n° 54 - Montpellier, musée Fabre, 1941, n° 15, repr. p. 6 - Paris, galerie Wildenstein, 1950, n° 17, pl. 1 - Montpellier, musée Fabre, 1959, n° 10 - Paris, Palais Galliéra, 1967, Deux œuvres importantes de Bazille (repr.) - Paris, musée de l'Orangerie, 1967-1968, Vingt ans d’acquisitions au musée du Louvre, n° 400 - Turin, Galleria civica d’arte moderna, 1973, Art et photographie - Chicago, The Art Institute of Chicago, 1978, n° 15, repr. p. 52 - Tokyo, musée national d’Art occidental, 1982, Tendances du réalisme en France, n° 29 - Antibes, musée Picasso; Toulouse, musée des Augustins; Lyon, musée des Beaux-Arts, 1985, Orsay avant Orsay, n° 3, repr. coul. p. 29 - Jourdan, Vuatone, Catalogue exp. Montpellier, New York, 1992-1993, n° 10, repr. p. 90 - Washington, National Gallery, 2008, n° 7 (repr.) - Bâle, Kunstmuseum, 2012, n° 51, repr. p. 251 - Montpellier, Paris, Washington, 2016-2017, cat. 16, repr. p. 230 et p. 29 [Les références sont du catalogue en français].

Bibliographie

Henriot, Gazette des Beaux-Arts, juillet-août 1922 - Spalikowski, Comœdia, 23 déc. 1926, p. 3 (repr.) - Poulain, Bazillle et ses amis, 4 janv. 1927, p. 2 - Poulain, La Renaissance de l'art français et des industries de luxe, n° 4, avril 1927 (repr.) - Poulain,  ABC magazine, mai 1927, p. 118, (repr.) - Focillon, La peinture aux XIXe et XXe siècles, 1928, p. 212 - Poulain, Bazille et ses amis, 1932, n° 11, pp. 54-57, 213 - Laprade, Beaux-Arts, 29 mars 1935 - Colombier, Candide, 4 avril 1935, p. 8 - Schmidt, Le Semeur, juin 1935 - Bouyer, Revue de l'art ancien et moderne, mai 1935, repr. p. 205 - Bazin, L'Amour de l'Art, avril 1935, p. 143 - Scheyer, Art Quarterly, printemps 1942, p. 120 - Guérif, A la recherche d'une esthétique protestante, 1943, p. 30 - Gazette des Beaux Arts, février 1968, repr. p. 18 - Wildenstein, Arts, 9 juin 1950 - Daulte, Arts, 24 juin 1950 - Romane-Musculus, 24 juin 1950 - Daulte,  Bazille et son temps, 1952, n° 14, pp. 48, 131, 144 et p. 172 (repr.) - Jardin des Arts, octobre 1959 (repr.) - Courthion, Autour de l'impressionisme, 1964, p. 23 - Gazette des Beaux-Arts, fév. 1968, n° 64, p. 18 (repr.) - Trêves, Le peintre, 1er oct. 1969 - Blunden, Journal de l'Impressionnisme, 1970, p. 60 (repr.) - Daulte, Connaissance des Arts, déc. 1970, n° 226, p. 90 - Isaacson, Le Déjeuner sur l'herbe, 1972, p. 25, pl. 9 (repr.) - Bouret, L'Ecole de Barbizon et le paysage français du XIXe siècle, 1972, p. 236, repr. coul. p. 237 et notice p. 247 - Rewald, Histoire de l'Impressionnisme, 1973, p. 120 - 1976, p. 158, repr. p. 161, pl. 83 - Champa, Studies in Early Impressionism, 1973, fig. 10, p. 82 et fig. 40, p. 82 - Adhémar, La Revue du Louvre et des musées de France, 1973, Dernières acquisitions, n° 14, 4/5, repr. p. 298 - Wildenstein, Cat. raisonné Claude Monet, 1974, p. 28, n° 179, p. 30 et n° 196 - Bellony-Rewald, Le monde retrouvé des Impressionnistes, 1977, pp. 46-47, repr. coul. p. 40 - Adhémar, Distel, Catmusée du Jeu de Paume, 1977, repr. p. 12 - Marandel, Cat. exp. The Art Institute of Chicago, 1978, n° 15, repr. p. 53 - Schulze, Art in America, sept-oct. 1978, n° 5 - Adhémar, Dayez, Musée du Jeu de Paume, 1983, p. 124 - Bonafoux, Impressionnistes. Portraits et Confidences, 1986, p. 48 - Mathieu, Musée d'Orsay Guide, 1986 - Compin, Roquebert, Catalogue sommaire illustré des peintures du musée du Louvre et du musée d'Orsay, 1986, t. III, p. 49 - Bonafoux, Connaissance des Arts, janv. 1987, pp. 28-35, repr. p. 32 - Rosenblum, Les peintres du musée d'Orsay, 1989, repr. p. 226 - Daulte, Frédéric Bazille : Catalogue raisonné de l'œuvre peint,  1992, n° 15, pp. 38, 40, 127, 138 et p. 159 (repr.) [Réédition de 1952 avec photos en couleur] - Michel, Bazille, 1992, p. 113 - Pitman, Cat. exp. Montpellier, New York, 1992-1993, n° 10,  pp. 90-91 - Bajou, Frédéric Bazille, 1993, p. 114 (repr.) - Adams, L'Ecole de Barbizon : aux sources de l'Impressionnisme, 1994, p. 205, pl. 149 - Schulman, Frédéric Bazille : Catalogue raisonné, 1995, n° 17, repr. p. 127 - Champa, Pitman, Cat. exp. Atlanta, High Museum, 1999, fig. 16, repr. p. 39 et fig. 40, repr. p. 82 - Hilaire, Jones, Perrin, Cat. exp. Montpellier, Paris, Washington, 2016-2017, cat. 26, repr. p. 230  [Les références sont du catalogue en français] - Schulman, Frédéric Bazille : Catalogue raisonné numérique, 2022, n° 17.

L'Ambulance improvisée qui se situe chronologiquement après La Robe rose est relativement petite par ses dimensions mais grande par la place qu’elle occupe dans l’histoire du mouvement impressionniste. Le nombre des expositions auxquelles elle a été présentée traduit la curiosité et l’intérêt que, pour cette raison, elle a de tout temps suscités. Les musées nationaux n’ont d’ailleurs pas été en reste, puisqu’ils l’ont préemptée en 1976. Aujourd’hui au musée d’Orsay, elle figure aux côtés des plus grandes œuvres de Monet, Manet, Sisley et Renoir, pour ne citer qu’eux.

Son intérêt est triple. Il est d’abord anecdotique, chose rare chez Bazille; il est ensuite pictural à cause de son réalisme; il est enfin historique parce qu’elle constitue un témoignage sur les débuts de l’impressionnisme.

L'Ambulance improvisée est d'abord une anecdote. Nous sommes en été 1865. Monet séjourne à Chailly avec le projet de faire son Déjeuner sur l’herbe. Malheureusement, il est, comme d’habitude, sans argent et ne peut se payer des modèles. Or son tableau doit représenter plusieurs personnages; c’est pourquoi il demande à Bazille de venir poser pour lui. Mais celui-ci tarde à venir, et Monet lui écrit le 16 août : « Je suis au désespoir, je crains que vous ne me fassiez manquer mon tableau et ce serait bien mal à vous après m’avoir promis de venir poser ». Bazille arrive le 19 août. La tradition familiale rapporte ce qui s’est ensuite passé : Monet fut blessé à la jambe en voulant protéger des enfants d'un lourd palet en métal lancé par des Anglais maladroits. Il n’existe pas de relation écrite de cet accident. Ni Bazille ni Monet n’y font allusion dans leur correspondance; il faut donc se fier à la tradition familiale.

Monet dut s’aliter quelques jours à l’auberge du Lion d’Or à Chailly. Dans cette chambre un peu triste, on suppose que Bazille, grâce à ses connaissances médicales, a organisé les soins et installé confortablement son ami blessé. Au-dessus de lui, il a disposé une sorte de bassine qui laisse tomber sur sa jambe un goutte à goutte rafraîchissant et sans doute décongestionnant. Au pied du lit, un seau de zinc ou de fer blanc et une terrine vernissée attendent d’être utilisés par le blessé. La scène est somme toute banale mais ce tableau qu’on a parfois appelé Monet blessé témoigne comme le Déjeuner sur l’herbe de l’amitié qui liait les deux hommes. Monet est allongé sur un grand lit de bois au-dessus duquel pendent de grands rideaux comme pour donner une certaine intimité à la chambre, à son ameublement sommaire et à sa décoration un peu triste. Il porte une large chemise blanche aux manches longues. On a mis une épaisse couverture sous sa jambe meurtrie. Sous sa tête, un immense oreiller vient ajouter à son confort; Monet y plonge son jeune visage d’où pointent « moustache et mouche impériale au menton ». Tout suggère ici la réalité : le bois du lit avec ses veines, les tomettes du sol, la tapisserie au décor floral adroitement imité, les deux récipients au pied du lit, la table de chevet sur laquelle est posé un joli vase de fleurs, et jusqu’à la montre qui se confond avec la tapisserie et se remarque à peine au-dessus du vase. Tout est agencé pour cacher, comme le dit Wildenstein, « la misère d’une chambre d’auberge » [Wildenstein, Arts, 9 juin 1950, p. 8]. Le réalisme tient aussi à la matière et à l’harmonie des tons. Sur le fond marron des tomettes, du papier mural et du bois du lit, se détachent les draps qu’une touche nerveuse et épaisse rend encore plus vrais. On retrouve ici cette vivacité et cette force de touche qui souligne la manche gauche de la chemise dans Frédéric Bazille à la palette. « Ni un blanc ni un noir ne dénaturent par une valeur excessive l’harmonie de cette ambiance havane », souligne Gaston Poulain [Poulain, 1932, p. 56]. Il est vrai que Bazille a évité l’utilisation des blancs crus et des noirs que pratiquait Manet. Avec les roses de la jambe meurtrie, les seules véritables taches de couleur sont celles du visage de Monet, de la terrine au pied du lit, et enfin de l’oreiller. Bazille aime recourir à ces rappels de couleur qui apportent une sorte de confort et repos visuels.

Peut-on parler d’une influence dans L’Ambulance improvisée ? Ce genre de sujet n’était pas de ceux qu’affectionnaient les impressionnistes ni les autres maîtres français du XIXe siècle. On le retrouve néanmoins dans La Convalescente d’Evariste de Valernes et dans la Vue d’intérieur de Charles-François Eustache.

Certains, comme Albert-Marie Schmidt et Germain Bazin ont établi une relation entre ce tableau et le protestantisme. Bazin y souligne « ce sentiment de solitude de l’être propre à l’âme protestante » [Bazin, L’Amour de l'Art, avril 1935, p. 143]; Schmidt discerne dans le tableau « le plus protestant de Bazille... une conscience artistique de la plus rare qualité » [Schmidt, Le Semeur, Paris, 1935]. Mais si tant est qu’il faille trouver une explication religieuse ou théologique à l'œuvre de Bazille, ce n’est sûrement pas L’Ambulance improvisée qui la rend nécessaire. La solitude du personnage n’en est pas réellement une. Monet n’est pas isolé puisqu’en fait il regarde Bazille le peindre, et semble lui parler. Indirectement, c’est ainsi à nous qu’il parle et Monet  est aussi présent que possible. Enfin, L’Ambulance improvisée se rapporte à l’histoire de l’impressionnisme à ses origines. C’est pourquoi elle figure dans la plupart des ouvrages consacrés à cette époque et trouve à juste titre aujourd’hui sa place parmi les œuvres importantes du musée d’Orsay.

La Grande-rue de Chailly. A gauche l'auberge du Cheval Blanc. Un peu plus loin à droite, l'hôtel du Lion d'Or
La Grande-rue de Chailly. A gauche l'auberge du Cheval Blanc. Un peu plus loin à droite, l'hôtel du Lion d'Or
Le lieu de L'Ambulance improvisée n'est cependant pas certain. On a toujours évoqué l'auberge du Lion d'Or à Chailly mais de l'autre côté de la rue principale du village se tient l'auberge du Cheval blanc - toujours là - où une chambre aux tomettes identiques à celles du tableau de Bazille existe encore. Au regard de cette information, n'est-ce pas le moment de modifier l'histoire du tableau ? A défaut d'en avoir la certitude, il nous a paru intéressant d'en émettre aujourd'hui l'hypothèse.

« Le tableau ne présente pas de modifications significatives dans la composition, ce que confirme le passage aux rayons X », peut-on lire dans la notice de l'exposition 2016-2017 [Jones, p. 230] qui en souligne ensuite la  « franchise » d'exécution.