Mélopée
1870
Huile sur toile
32,4 x 24,5 cm - 12 3/4 x 9 5/8 in.
Collection particulière
Dernière mise à jour : 02-05-2025
Référence : MSb-87
1870
Huile sur toile
32,4 x 24,5 cm - 12 3/4 x 9 5/8 in.
Collection particulière
Dernière mise à jour : 02-05-2025
Référence : MSb-87
Famille Paul Castelnau par descendance - Famille Paul Rouffio par succession - Marie Rouffio et Frédéric Westphal - Collection particulière.
A notre connaissance, cette oeuvre n'a jamais été exposée
Schulman Michel, Frédéric Bazille : Catalogue raisonné numérique, 2022, n° 87.
A l'époque de ses compositions florales des années 1870 dans lesquelles il insère une femme noire arrangeant des fleurs dans ses deux célèbres Jeune Femme aux pivoines [Auparavant Négresse aux pivoines] actuellement au musée Fabre de Montpellier et à la National Gallery de Washington, Bazille se tourne ici vers un autre sujet où il présente le même modèle, jouant probablement d'un loutar ou lotar, instrument répandu dans le monde grec et arabe, dont l'affiliation à notre luth est plus que probable. On connaît la passion de Bazille pour les fleurs qui le séduisent chaque été dans la serre de Méric comme on suit, à travers sa correspondance, son incontestable attirance pour la musique. Pour se faire admettre par le monde de l'art, ne présente-t-il pas la Jeune Fille au piano au Salon de 1866 dont il parle à plusieurs reprises dans ses lettres à ses parents, et qui sera refusée. On en perd ensuite la trace pour la retrouver finalement en 2016 - grâce aux rayons X - sous le Ruth et Booz du musée Fabre ! Mais la musique n'est-elle pas ici qu'un prétexte ? Notre tableau aurait-il la même saveur avec un autre personnage ? Sans doute pas, car tout ce qui fait l'attirance, le charme et la douceur du tableau repose sur le choix du modèle.
Comme pour les deux tableaux Jeune Femme aux pivoines du musée Fabre de Montpellier, de la National Gallery de Washington et pour la gouache du Fitzwilliam Museum de Cambridge, l'originalité de l'œuvre repose donc sur cette femme noire dont les mains puissantes caressent tendrement les cordes de son instrument. Des mains qui ressemblent à s'y méprendre à celles du modèle des deux tableaux Jeune Femme aux pivoines de Montpellier, de Washington et de la gouache de Cambridge. Quant à la ressemblance avec la servante noire de La Toilette, elle n'est pas à écarter quoique moins évidente. Et même si on trouve dans la correspondance de Bazille des allusions à un modèle « trop cher », dans le catalogue de l'exposition de 2016-2017, Jones propose aussi un rapprochement avec Aspasie de Delacroix que Bazille aurait vue alors au musée Fabre. Des hypothèses à prendre légitimement en considération. De même qu'il faut souligner que la servante de La Toilette est seulement vue de profil, ce qui dissimule passablement son visage, sans oublier la marge d'interprétation de l'artiste. En ce qui concerne les modèles, l'affaire semblait donc réglée car leur similitude était établie quoi que, dans notre tableau, la femme exprime une profonde nostalgie absente ailleurs.
Ainsi se connaissaient, se fréquentaient et s'appréciaient les familles Bazille, Westphal, Leenhardt, Tissié, Castelnau, Vialars, Cazalis, Layrargues, Planchon... qu'unissait une même communauté de valeurs à travers la religion mais aussi l'économie, la politique, la culture, la vie sociale et associative jusqu'aux loisirs comme la chasse dont étaient adeptes Gaston Bazille et son fils Frédéric. C'est ainsi qu'André Gide le décrit dans Si le grain ne meurt : « Il y avait là des Westphal, des Bazille, des Leenhardt, des Castelnau, parents les uns des autres ». Dans sa thèse Michel-Maximilien Leenhardt : l'œuvre, reflet d'un milieu [Université de Toulouse le Mirail, 2019], Isabelle Laborie décrit avec pertinence ce milieu aux multiples facettes et intrications qui reposent sur de puissants liens familiaux. Elle souligne aussi que, pour de nombreux événements, ce monde se retrouvait dans les propriétés de Méric, Bionne, Fontfroide, Saint-Sauveur, le Mazet ainsi qu'à la Villa Louise, toutes à une encablure de Montpellier.
Pour en savoir plus sur les liens familiaux des Bazille, Vialars et autres cousins, nous vous recommandons vivement le site généalogique de Patricia Pagézy-Wiriath, descendante de Camille des Hours. De même, la généalogie des familles Bazille et Westphal [Document familial Westphal]. Nous les remercions particulièrement pour les informations que nous y avons puisées sur ces familles.
En ce qui concerne la technique et les couleurs, Bazille joue ici sur leurs oppositions. A droite, les blancs presque nacrés font penser à ceux de L'Ambulance improvisée qui contrastent avec le rouge pourpre à gauche du tableau. Enfin, comme dans La Tireuse de cartes Bazille divise en deux le fond du tableau pour renforcer ces mêmes contrastes. C'est ici toute la palette de Bazille qui s'exprime et se révèle. Comme le dit Jones, Bazille « ne mentionne ni l'une ni l'autre de ces œuvres [Auparavant Négresses aux pivoines] de façon explicite dans sa correspondance » [Cat. exp. Montpellier, Paris, Washington, 2016-2017, p. 176]. Elle souligne aussi le silence de Bazille, non seulement sur les fleurs mais aussi sur la femme noire qui est finalement le thème principal des tableaux en question. Et de se demander si Bazille était conscient de cette « terminologie provocatrice... et des stéréotypes racistes qui s'y rattachent » [Jones, p. 181]. Très certainement non. Au regard de ces projections, on ne s'étonnera pas vraiment du silence du peintre sur un sujet dont on ignorait évidemment l'impact qu'il aurait plus tard, notamment aujourd'hui.
On s'arrêtera un instant sur ce que le catalogue de l'exposition Bazille de 2016-2017 intitule : « Pratique et procédés dans l'œuvre de Frédéric Bazille », chapitre qui souligne que « Bazille a lui-même fourni très peu d'informations concrètes quant à ses méthodes de travail et aux matériaux qu'il utilisait » [Jones, p. 151]. On remarquera la finesse de la toile des deux tableaux Jeune Femme aux pivoines de Montpellier et de Washington qui « permet d'obtenir [une] grande qualité de finition » [Jones, p. 152]. C'est le cas de notre tableau exécuté sur une toile fine qui concorde avec les usages picturaux de Bazille.