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Frédéric Bazille
1841-1870

Le catalogue raisonné numérique

par Michel Schulman
© Detroit Museum of Art, Detroit

Nature morte aux poissons

1866
Huile sur toile
63,5 x 81,9 cm - 25 x 32 1/4 in.
Signé et daté en bas à droite : F. B. 1866
Detroit, Detroit Institute of Arts, Etats-Unis - Inv.1988.9
Dernière mise à jour : 22-12-2023
Référence : MSb-22

Historique

Famille de l’artiste - André Bazille - Mme Rachou-Bazille - The Detroit Institute of Arts, 1988 (Founders Society Purchase-Robert H. Tannahill Foundation Fund).

Expositions

Paris, Palais de l’Industrie, 1866, Salon de 1866, n° 97 - Paris, Grand Palais, 1910, Salon d'automne, n° 6 - Montpellier, Exposition internationale, 1927, Rétrospective Bazille, n° 6 - Montpellier, musée Fabre, 1941, n° 16 - Paris, galerie Wildenstein, 1950, n° 23 - Montpellier, musée Fabre, 1959, n° 13 - Pitman, Cat. exp. Montpellier, New York, 1992-1993, n° 12, repr. p. 93 - Paris, musée Marmottan Monet, 2003-2004, cat. 10, repr. p. 41 - Montpellier, Paris, Washington, 2016-2017, cat. 29, repr. p. 232 et p. 83 [Les références sont du catalogue en français].

Bibliographie

Ixe, Journal de Montpellier, 9 juin 1866 - Sarlat, L'Avant-Scène, 21 juin 1866 - Poulain, Bazille et ses amis, 1932, n° 14,  pp. 64-65, 213 - Sarraute, Catalogue de l'œuvre de Frédéric Bazille, 1948, n° 17, p. 35 - Wildenstein, Arts, 9 juin 1950 - Rewald, Histoire de l'Impressionnisme, 1946, pp. 115, 121  et édition de 1961, p. 139 - Daulte, Bazille et son temps, 1952, n° 17, p. 173 (repr.) [Thèse sous la direction de Gaston Poulain] - Marandel, Cat. exp. The Art Institute of Chicago, 1978, n° 68, repr. p. 133 - Gazette des Beaux-Arts, mars 1989, repr. fig. 231, p. 42 - Marandel, Bulletin of the Detroit Institute of Art, 1990, vol. 65, n° 4, pp. 4-11, repr. coul. en couverture - Daulte, Frédéric BazilleCatalogue raisonné de l'oeuvre peint, 1992, n° 19, repr. coul. p. 42 et pp. 160-161 [Réédition de 1952 avec photos en couleur] - Pïtman, Cat. exp. Montpellier, 1992-1993, p. 93 - Bajou, Frédéric Bazille, 1993, p. 117 (repr.) - Schulman, Frédéric Bazille : Catalogue raisonné de l'œuvre peint, 1995, n° 22, repr. p. 137 - Pitman, Bazille : Purity, Pose and Painting in the 1860s, 1998, p. 68-70 - Hilaire, Jones, Perrin, Cat. exp. Montpellier, Paris, Washington, 2016-2017, cat. 29, repr. p. 232 et p. 83 [Les références sont du catalogue en français] - Schulman, Frédéric Bazille : Catalogue raisonné numérique, 2022, n° 22.

Restée dans la famille de Bazille depuis toujours, cette Nature morte aux poissons a été acquise par le Detroit Institute of Arts en 1988. Elle fut présentée au Salon de 1866 avec la Jeune Femme au piano mais fut seule acceptée par le jury. Vers le 15 mars, Bazille écrit : « J’ai une peur atroce d’être refusé, aussi vais-je envoyer en même temps [que la Jeune Femme au piano] une nature morte de poissons qui sera probablement reçue ».

Le Salon ouvrit ses portes le 1er mai. Bazille y guida ses amis et se montra satisfait de l’effet produit par sa toile : « Les Pagézy m’ont entraîné à l’exposition. Je leur ai servi de cicérone. Je leur ai montré mon tableau qui fait assez bon effet ».

Nature morte à la carpe, Edouard Manet, 1864, The Art Institute of Chicago
Nature morte à la carpe, Edouard Manet, 1864, The Art Institute of Chicago
Deux poissons, une carpe et un brochet, sont disposés sur une serviette blanche, elle-même dépliée sur un coffre de bois. En haut à gauche, un panier d’osier est rempli de moules. Cette œuvre témoigne de l’influence de Manet, dont Bazille vit probablement la Nature morte à la carpe exposée pour la première fois à la galerie Martinet ou chez Cadart en 1865. Marandel dit que Bazille se serait lancé dans ce genre de sujet parce qu'il était conscient de ses limites, notamment dans le domaine des paysages où excellait Monet. Mais il faut dire aussi que, pour des artistes désargentés, les natures mortes sont des sujets qui n’impliquent aucun engagement financier.

La critique remarqua peu la Nature morte aux poissons - mais Bazille n’avait-il pas voulu un sujet passe-partout ? Et l’accueil ne fut pas enthousiaste. Seul Charles de Sarlat nuança ses reproches de quelques compliments. Certes, il engagea l’auteur « à se défier des tons noirs », alors qu’ils sont utilisés avec justesse : le fond noir, en effet, n’a rien de choquant et même si le panier de moules est un peu sombre, il n’est pas là pour faire régner l’ordre pictural. Sa fonction, secondaire, est d’ajouter au réalisme du tableau en comblant un vide qui lui aurait été préjudiciable. Mais Sarlat sut aussi se montrer élogieux : « C’est solidement peint... La carpe est d’une vérité très grande : c’est à vouloir s’en saisir, tant elle est appétissante » [Sarlat, L'Avant-Scène, 21 juin 1866, p. 3]. On sait gré au critique d’avoir remarqué ce tableau parmi les nombreux autres. Il est vrai qu’il est bien peint. Le brochet, au premier plan, est gris; seul le ventre, la partie molle du poisson, est éclairé d’une tache blanche qui en fait ressortir la matière. Ce qui fera dire à Wildenstein que « la pêche [est] encore palpitante » [Wildenstein, Arts, n° 266, 9 juin 1950, p. 8]. Quant à la carpe, au second plan, posée le long du brochet, elle attire particulièrement le regard. Elle oppose des jeux de lumière et d’ombre avec ses écailles luisantes au centre d’une gamme de noirs opulents. Mais ce qui frappe le plus, c’est la tache rouge sur la tête du poisson, filet de sang qui évoque la mort.

Dans le Journal de Montpellier du 9 juin 1866, J. Ixe est en revanche peu amène : « Bazille expose deux « Poissons », deux : l’un, une carpe aux écailles d’or; l’autre un brochet à la peau d’argent... qui ont l’air, peu frais, d’attendre assez piteusement. Deux... mais on ne peut donner que ce qu’on a, et n’en demandons pas davantage ... ». Sa critique est encore plus sévère - et injustifiée - quand elle aborde la couleur du linge à l’aspect « vraiment sale de ton terreux et comme éclairé par la lune; or, rien n’est chatoyant et riche pour la peinture comme les objets sales en nature ». Or, la serviette est justement un morceau de composition des plus réussis. Tombant presque négligemment sur la droite, elle fait penser aux natures mortes de Cézanne. Les pliures sont adroitement dessinées, soulignées de temps à autre d’un trait noir ou d’une petite tache blanche ou rose, et l’ensemble des tons est d’une grande distinction. Ce tissu produit la même impression que la manche de chemise dans Frédéric Bazille à la palette. Le peintre, on le sent, est ici parfaitement à son aise et sa technique n’a rien à envier à celle de Manet. Enfin, J. Ixe se demande en quoi est faite la caisse sur laquelle reposent les poissons. « Est-il de cuir, de bois ou de pierre, cet angle de cube badigeonné ? ». Faut-il donc ne jamais avoir vu de caisse en bois pour poser une telle question ?

On saura gré au Detroit Institute of Arts d’avoir analysé le tableau aux rayons X, ce qui était peu fréquent avant l'exposition de 2016-2017. Nous savons que Bazille effaçait, reprenait ou repeignait ses tableaux sur des toiles déjà utilisées. C’est le cas ici : l’analyse fait apparaître une composition antérieure au-dessous avec des pommes et des poires, composition située en haut du tableau. La correspondance de Bazille est muette à cet égard. On peut penser qu’il peignit cette Nature morte aux  poissons sur une autre de ses propres œuvres mais, comme le remarque Marandel, il ne faut pas non plus exclure qu’il ait pu se servir de la toile d’un autre artiste.