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Frédéric Bazille
1841-1870

Le catalogue raisonné numérique

par Michel Schulman
© Musée Fabre, Montpellier Méditerranée Métropole/Photographie Frédéric Jaulmes

Petite Italienne chanteuse des rues

1866
Huile sur toile
131 x 98 cm - 51 1/2 x 38 1/2 in.
Signé en bas à droite : F Bazille
Montpellier, Musée Fabre, France - Inv. 2002.5.1
Dernière mise à jour : 22-12-2023
Référence : MSb-23

Historique

Famille de l'artiste - Marc Bazille, frère de l'artiste, Montpellier - Frédéric Bazille, neveu de l'artiste - Ses héritiers - Vente Paris, Drouot-Richelieu, 21 juin 2002, n° 11 - Musée Fabre, Montpellier, 2002.

Expositions

Paris, Grand Palais, 1910, Salon d'automne,  n° 7 - Paris, musée du Louvre, Pavillon de Marsan, 1922, Le décor de la vie sous le Second Empire, n° 9 - Montpellier, Exposition internationale, 1927, Rétrospective Bazille, n° 7 - Paris, Association des étudiants protestants, 1935, n° 11 - Montpellier, musée Fabre, 1941, n° 28 - Paris, galerie Charpentier, 1949, L'Enfance, n° 5 - Paris, galerie Wildenstein, 1950, n° 20 - Montpellier, musée Fabre, 1959, n° 12 - Nice, galerie des Ponchettes, 1960, n° 102 - Vichy, galerie Napoléon III, 1961, La vie artistique sous le Second Empire, n° 4 - Chicago, The Art Institute of Chicago, 1978, n° 41, repr. p. 90 - Montpellier, musée Fabre, 1984 [s.n.] - Rome, Complesso del Vittoriano, 2003, Rittrati e figure. Capolavori impressionisti, n° 43, pp. 178-179 (repr.) - Paris, musée Marmottan Monet, 2003-2004, cat. 11, repr. p. 39 - Tokyo, Ibaraki, Yamanashi, Osaka, Nagasaki, 2005-2006, Chefs-d'oeuvre du musée Fabre, n° 74 - Montpellier, Paris, Washington, 2016-2017, cat. 30, repr. p. 233 et p. 34 [Les références sont du catalogue en français].

Bibliographie

Poulain, La Renaissance de l'Art français et des industries de luxe, 1927, p. 172 - Poulain, Bazille et ses amis, 1932, n° 32, pp. 136-139, 217 - Laprade, Beaux-Arts, 29 mars 1935, pp. 1, 8 - Colombier, Candide, 4 avril 1935 - Poulain, Cat. exp. Association des étudiants protestants, Paris, 1935, n° 11 - Schmidt, Le Semeur, juin 1935, pp. 496-498 - Poulain, Cat. exp. musée Fabre, Montpellier, 1941, n° 28 - Guérif, Frédéric Bazille : A la recherche d'une esthétique protestante, 1943, pl. 24 - Claparède, Les peintres du Languedoc, 1947, p. 237 - Sarraute, Catalogue de l'oeuvre de Frédéric Bazille, 1948, n° 16, pp. 33-34 - Sarraute, Cat. exp. Paris, galerie Wildenstein, 1950, n° 20 - Kunstler, L'Opéra, 28 juin 1950 - Daulte,  Bazille et son temps, 1952, n° 42 (repr.), pp. 129-130, 183 [Thèse sous la direction de Gaston Poulain] - Lapeyre, Plaisir de France, 1970, p. 4 - Marandel, Cat. exp. The Art institute of Chicago, 1978, n° 41, repr. p. 90 - Dejean, Le Roman d'un collectionneur : Alfred Bruyas, 1984, p. 2 - Daulte, Frédéric Bazille : Catalogue raisonné de l'œuvre peint, 1992, n° 47, pp. 125, 147 (repr.) [Réédition de 1952 avec photos en couleur] - Michel, Bazille, 1992, p. 248 - Bajou, Frédéric Bazille, 1993, p. 95 (repr.) - Schulman, Frédéric Bazille : Catalogue raisonné, 1995, n° 23, repr. p. 139 - Gazette de l'hôtel Drouot, 24 mai 2002, repr. p. 7 - Hilaire, Cat. exp. Tokyo, Ibaraki, Yamanashi, Osaka, Nagasaki, 2005-2006, n° 74, p. 181 - Hilaire, Guide du musée Fabre, 2006, n° 173, p. 188 - Schulman, Frédéric Bazille : Catalogue raisonné - Supplément 1, 2006, repr. p. 28 - Revue des musées de France/Revue du Louvre, octobre 2012, p. 16 - Hilaire, Cat. exp. musée Fabre, Montpellier, 20 ans d'acquisitions au musée Fabre, 2014, n° 170, pp. 103-104 - Hilaire, Jones, Perrin, Cat. exp. Montpellier, Paris, Washington, 2016-2017, cat. 30, repr. p. 233 et p. 34 [Les références sont du catalogue en français] - Schulman, Frédéric Bazille : Catalogue raisonné numérique, 2022, n° 23.

La Petite Italienne chanteuse des rues est le plus énigmatique de tous les tableaux de Bazille. Faute de commentaires et de dessin préparatoire, on ne sait rien de son élaboration. Sa datation a posé un problème et donné lieu à deux types d’opinions passablement différentes. D’une part, en effet, Sarraute la fait remonter à la fin de 1865 ou au début de 1866, et c’est de 1866 également que la data Frédéric Bazille dans la liste qu’il fit de ses propres tableaux et que recopia son père; d’autre part, Daulte et Marandel soutiennent qu’elle fut exécutée en 1865. En fait, c’est la date de 1866 qu’il faut retenir. Elle se déduit naturellement d’une lettre que Mme Gaston Bazille écrivit au peintre le 9 juillet 1866 et dans laquelle nous lisons : « Victor a dit à Ernest que tes Poissons étaient très bien et aussi le tableau d’une petite mendiante ». Quant à l’autre date, elle résulte de la fausse interprétation d’une lettre envoyée par Bazille à sa mère en février 1869 : « Le tableau de la petite italienne a eu un succès fou auprès d’une masse de peintres à qui je l'ai montré depuis peu. On m’amène tous les jours quelqu’un; les uns préfèrent l'Italienne, les autres l’homme nu ». La contradiction entre les deux lettres n’est qu’apparente. En effet, l’Italienne dont parle Bazille dans la seconde n’a rien à voir avec « la petite mendiante ». Elle n’est autre que la jeune personne, fille d’un métayer italien employé à Méric, qui posa pour la Vue de village, et l’homme nu dont il parle aussi, est tout simplement le Pêcheur à l'épervier, Bazille ayant exécuté ces deux tableaux précisément en 1868. Il y a donc deux Italiennes dans l’œuvre de Bazille, et la jeune fille qui vit à Méric ne doit pas être confondue avec l’enfant qui mendie à Paris.

Ce tableau, d’une taille importante, nous montre, au premier plan, une petite fille, chaudement mais étrangement habillée, tenant un violon de la main gauche et un archet de l’autre. Elle ne joue pas mais lève vers nous un visage douloureux. Elle tient d’ailleurs fort mal son archet et son violon. Il s’agit d’une petite fille que « la misère et la vie dure ont vieilli précocement » [Dejean, Catalogue du musée Fabre, été 1978]. Ce visage, pourtant, est poupon. Il n’est pas encore marqué par les tensions de l’adolescence et encore moins par l’indigence. Ce sont l’expression et l’accoutrement de la petite fille qui font de ce sujet un thème misérabiliste. « Une fillette engoncée dans un vieux châle verdâtre, coiffée d’un chapeau aux roses de celluloïd, n’ayant d’une enfant que les joues et les dimensions » [Poulain, 1932, p. 137]. Chapeau et châle sont les attributs vestimentaires d’un adulte. C’est ce qui donne à cette enfant « engoncée » dans ses vêtements trop amples un âge qu’elle n’a pas. Daulte dit que « comme ces nains difformes de la peinture espagnole, elle apparaît vieillie avant l’âge » [Daulte, 1992, p. 125]. Sarraute ira même plus loin en parlant de « naine italienne ».

Chanteuse de rue, Honoré Daumier, Collection particulière
Chanteuse de rue, Honoré Daumier, Collection particulière
Derrière elle, séparées par un grand immeuble, « deux rues symétriques décroissent, en une symphonie de couleur de zinc, carrefour aux maisons gangrenées, esquissées brutalement, comme la tôle du ciel, et ses déjections de nuages... Sous un ciel livide, traînant sur les pavés jaunâtres, déambulent des personnages fantastiques, promenant des silhouettes à la Daumier » [Poulain, 1932, p. 137]. Certes, la petite fille est peinte de manière à attirer tous les regards; elle éveille la compassion. Mais l’arrière-plan du tableau n’est pas pour autant négligé. Il est même réalisé avec une force rarement atteinte par Bazille. Comme en témoignent les personnages - militaires, femmes élégantes - qui l’animent, le quartier n’est pas si populaire que le dit Poulain dans la citation qui précède. Rien ne prouve non plus que les maisons soient « gangrenées ». L’impression de Poulain est due à la technique employée par Bazille et à ses coups de pinceau vigoureux. Comme le dit Xavier Dejean, la Petite Italienne chanteuse des rues « ouvre une interrogation, crée un malaise, cherche des voies nouvelles avec une maîtrise souveraine dans les écritures contrastées, jetées l’une contre l’autre à l’intérieur de la même peinture troublante » [Dejean, Catalogue du musée Fabre, 1984]. C’est cela qu’il faut retenir : ce contraste entre l’arrière-plan et le personnage central.

La misère était, dans la littérature de l’époque, un sujet courant. On le trouve en France dans Les Misérables de Victor Hugo, Les Mystères de Paris d’Eugène Sue et Sans Famille d’Hector Malo, mais aussi en Angleterre chez Charles Dickens par exemple.

En peinture, les chanteurs de rue sont relativement nombreux; on en rencontre chez Vélasquez, Goya, Delacroix et Manet. C’est celui-ci qui nous fournit l’exemple le plus proche avec sa Chanteuse des rues de 1862 [Boston Museum of Fine Arts]. D’autres influences sont encore possibles comme celle de La Mendiante tolérée de Stevens.

A bien y regarder, la Petite Italienne chanteuse des rues figure - discrètement - sur le mur droit de l'Atelier de la rue Visconti peint l'année suivante.Comme l'explique la notice de l'œuvre du catalogue d'exposition, il s'agit-là d'un des  « rares tableaux parisiens de Bazille » [P. 233].

Comme pour d'autres tableaux de Bazille, la Petite Italienne chanteuses des rues a fait l'objet d'analyses du laboratoire du Louvre [C2RMF] à l'occasion de cette dernière exposition et publiés sur Internet par Bruno Mottin.

Bruno Mottin précise que la toile est peinte sur une préparation blanche irrégulière identique à celle de La Robe rose et que les empâtements sont localisés sur les fleurs et sur le chapeau. Et de conclure : ils sont « dune modernité digne d'un Manet ».