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Frédéric Bazille
1841-1870

Le catalogue raisonné numérique

par Michel Schulman
© Minneapolis Institute of Art, Minneapolis

Bords du Lez

1870
Huile sur toile
137,2 x 200,7 cm - 54 x 79 in.
Signé et daté en bas à gauche : F. Bazille, 1870
Minneapolis, Minneapolis Institute of Art, Etats-Unis - Inv. 69.23
Dernière mise à jour : 25-03-2022
Référence : MSb-68

Historique

Famille de l’artiste, Montpellier - Marc Bazille, frère de l’artiste - Frédéric Bazille, neveu de l’artiste - Galerie Louis Carré, Paris - Galerie Wildenstein, Paris - Walter P. Chrysler - The Minneapolis Institute of Art, 1969 (Special Arts Reserve Fund).

Expositions

Montpellier, Exposition internationale, 1927, Rétrospective Bazille, n° 31 - Montpellier, musée Fabre, 1941, n° 38 - Paris, galerie Louis Carré, 1945, Paysages de France - Paris, galerie Wildenstein, 1950, n° 66 - La Nouvelle Orélans, Isaac Delgado Museum of Art, 1954, Masterpieces of French Paintings through Five Centuries, n° 71 - Dayton, Dayton Art Institute, 25 mars-22 mai 1960, French Paintings 1789-1929 from the Collection of Walter P. Chrysler Jr., n° 53 - Minneapolis, Minneapolis Institute of Art, 1969, The Past Rediscovered : French Paintings  1800-1900, n° 1(a) - Chicago, The Art Institute of Chicago, 1978, n° 59, repr. p. 119 - Paris, Grand Palais, 1994, Impressionnisme. Les origines 1859-1874, n° 15, pp. 337-338, repr. pl. 100 - New York, Metropolitan Museum of Art, 1994-1995 |La même exposition - Les références sont du catalogue en français] - Montpellier, Grenoble, 2007-2008 [s.n.] - Minneapolis, Londres, 2015-2016, n° 77, repr. p. 244 [Exposé à Minneapolis seulement] - Montpellier, Paris, Washington, 2016-2017, cat. 65, repr. p. 256 et vp. 184 [Les références sont du catalogue en français].

Bibliographie

Poulain, La Renaissance de l'art et des industries de luxe, 1927, p. 170 - Poulain, Bazille et ses amis, 1932, n° 43, pp. 181, 220 - Descossy, Montpellier, berceau de l'impressionnisme, 1933, p. 27 - Poulain, L'Art et les artistes, juin 1934, pp. 317-318  - Sarraute, Catalogue de l'oeuvre de Frédéric Bazille, 1948, n° 41, pp. 99-100 [Thèse de l'Ecole du Louvre non publiée] - Cayeux, Réforme,  24 juin 1950 - Daulte, Bazille et son temps, 1952, n° 55, p. 113, 189 (repr.) [Thèse sous la direction de Gaston Poulain] - Daulte, Connaissance des Arts, déc. 1970, n° 226, p. 87, repr. p. 86 - European Paintings from the Minneapolis Institute of Arts, 1971, pp. 193-194 - Marandel, Cat. exp. The Art Institute of Chicago, 1978, n° 59, repr. p. 119 - Brettell, Apollo, mars 1983, p. 242 (ill. 12) - Daulte, Frédéric Bazille : Catalogue raisonné de l'oeuvre peint, 1992, p. 105 (repr. coul.), p. 112 et p. 182, n° 63 (repr.) [Réédition de 1952 avec photos en couleur] - Michel, Bazille, 1992, p. 243 - Jourdan, Cat. exp. Montpellier, New York, 1992-1993, fig. 1, repr. p. 12 - Bajou, Frédéric Bazille, 1993, p. 168 (repr.) - Tinterow, Cat. exp. Paris, New York, 1994-1995, n° 15 - Schulman, Frédéric Bazille : Catalogue raisonné, 1995, n° 68, repr. p. 224 - Pitman, 1998, Bazille : Purity, Pose and Painting in the 1860s, p. 201-205 - Vermont, Valeurs de l'Art, mars-avril 2000, Hommage à Bazille, repr. p. 45 - Hilaire, Cat. exp. Montpellier, Grenoble, 2007-2008, L'impressionnisme de France et d'Amérique, p. 46 - Noon, Riopelle, Cat. exp. Minneapolis, Londres, 2015-2016, n° 77, repr. p. 244 - Hilaire, Jones, Perrin, Cat. exp. Montpellier, Paris, Washington, 2016-2017, cat. 65, repr. p. 256 et p.184 [Les références sont du catalogue en français] - Schulman, Frédéric Bazille : Catalogue raisonné numérique, 2022, n° 68.

Pendant que le ton monte entre la France et la Prusse, Bazille se retrouve comme chaque année à Montpellier pour passer l’été au sein de sa famille. 1870 est une année féconde. Les Bords du Lez qui suivent de peu les versions des tableaux Jeune Femme aux pivoines et Jeune Femme aux pivoines [Auparavant Négresse aux pivoines] marquent bien l’évolution de Bazille, ses hésitations entre un classicisme qu’il n’a jamais renié et des élans pour donner à sa peinture des formes nouvelles.

II y a deux versants dans la personnalité de Bazille, et ils s’offrent ensemble à nous dans ces quelques œuvres : son attachement aux grandes traditions, mais aussi son esprit ouvert sur l’avenir, sa sympathie pour tous ceux qui mettent en œuvre des théories nouvelles.

Les Bords du Lez, qui passent pour être le dernier tableau de Bazille, restent dans le droit fil du classicisme. Nous sommes tout près de la rivière. Au centre du tableau, s’étendant vers une colline au fond, une vaste plaine brûlée par le soleil du Languedoc. Sur la colline caillouteuse, une végétation maigre. De chaque côté de cette plaine, de grands arbres émaciés, aux troncs parfois droits, parfois tourmentés. Au premier plan, à droite, on remarque un vieux mur de pierre au fond d’un ravin.

A travers cette végétation resplendit un ciel bleu où s’étirent quelques nuages blancs et roses. « C’est la lumière du soleil qui compose le paysage comme dans un tableau classique », écrit Daulte, qui ajoute que « [...] dans le paysage des Bords du Lez, elle dessine par le jeu des ombres et des clartés la profondeur de la plaine, le vallonnement des collines pelées, les arbres aux fines silhouettes ». C’est évidemment son rôle dans ce paysage languedocien. Elle fait penser au Paysage à Chailly de 1865 bien qu’elle soit plus atténuée, moins violente, et se rapproche plus, en cela, de la lumière de La Terrasse de Méric. On ne manque d’ailleurs pas d’être un peu surpris par cette clarté qui n’est pas franchement aveuglante comme elle l’est la plupart du temps dans le Midi. C’est ce qui explique que Daulte parle du « lyrisme contenu de l’artiste languedocien » et « d’une sereine ordonnance, qui rappelle Poussin et annonce Cézanne » [Daulte, 1992, p. 112].

Poulain rapproche les Bords du Lez non seulement de Poussin mais aussi du Lorrain et il est certain que l’influence du XVIIe siècle sur ce tableau se fait nettement sentir. Jamais Bazille n’était parvenu, dans ses paysages, à un tel sentiment classique. Ici, la composition et la technique sont sages et appliquées et engendrent même une certaine monotonie. Bazille ne donne guère de place à l’interprétation stylistique, à la fougue de la touche et au débordement des couleurs. Au fond, très loin, une petite montagne et, à droite, sur une colline, quelques arbres. En bas à droite, un chien couché, à peine visible, est une étonnante présence dans ce paysage. L’explication nous vient peut-être de Sarraute qui pense que Bazille avait l’intention de placer des personnages dans cette paisible prairie. La présence du chien donne force à cette hypothèse. Nous savons, par une lettre de Bazille écrite vers le 20 juin 1870, qu’il a mis en chantier « un grand paysage qui commence à prendre tournure ». Puis, le 2 août, il écrit à Edmond Maître qu’il a « fini à peu près un grand paysage ». Sans doute la guerre l’empêcha-t-elle de compléter ce tableau. Bazille, dans cette même lettre, apporte, sans le savoir, une émouvante conclusion à sa vie d’artiste : « Vous voyez que cette année je brillerai au moins par la qualité de mes œuvres ». Trois semaines plus tard, abandonnant palette, couleurs et chevalet, il part pour la guerre.

Bords du Lez au siècle dernier
Bords du Lez au siècle dernier
On s'étonnera cependant du « virage » pris par Bazille à un moment où sa carrière, son style et ses sujets prennent un tournant différent. L'influence marquante de Manet dans les dernières œuvres de Bazille nous portait à croire qu'il était définitivement acquis aux causes de l'impressionnisme. D'où l'étonnement légitime face aux Bords du Lez où Bazille revient à un formule plus classique que Poussin et Le Lorrain et plus tard Castelnau, Loubon et Guigou ne sauraient renier. Hilaire rappelle, à juste titre, l'attachement viscéral de Bazille à ces paysages décharnés, « austères et dépouillés » marqués par un protestantisme affirmé. Comme le qualifie Hilaire dans  le catalogue de l'exposition de 2016-2017, Il s'agit-là d'une « grandiose scénographie » [Hilaire, p. 189] qui vient interrompre une vie pleine d'espoir. Avec les Bords du Lez, d'éternelles questions resteront à jamais en suspens sur la tête du jeune Frédéric.

Le Lez coule paisiblement et discrètement au loin au pied de la colline. Ici, il est plus ruisseau que rivière. D'après les photos que nous en avons, on y pratiquait d'assez nombreuses activités. Ce qui nous porte à croire qu'il s'agit-là d'un paysage en amont.