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Frédéric Bazille
1841-1870

Le catalogue raisonné numérique

par Michel Schulman
© Norton Simon Foundation, Pasadena

La Mauresque

1869
Huile sur toile
99,7 x 59 cm - 39 1/4 x 23 1/4 in.
Pasadena, Norton Simon Museum, Etats-Unis - Inv. M.1997.2.P
Dernière mise à jour : 22-12-2023
Référence : MSb-49

Historique

Famille de l'artiste, Montpellier - Mme Meynier de Salinelles, Nîmes, 1941 - Penchinat de Salinelles, circa 1959 - E. V. Thaw, New York, 1969 - Vente Paris, Palais Galliéra, 14 juin 1967 [n.n.] - The Norton Simon Foundation, Pasadena, 1997.

Expositions

Paris, Grand Palais, 1910, Salon d'automne, n° 18 - Montpellier, Exposition internationale, 1927, Rétrospective Bazille, n° 30 - Paris, Association des étudiants protestants, 1935, n° 4 (repr.) - Montpellier, musée Fabre, 1941, n° 30 - Paris, galerie Wildenstein, 1950, n° 49 - Montpellier, musée Fabre, 1959, n° 33 - Paris, Palais Galliéra, 14 juin 1967, Deux œuvres importantes de Bazille (repr.) - San Francisco, Palace of the Legion of Honor, 1973, Selections from the Norton Simon Foundation. French Art, n° 38, repr. p. 121 - Chicago, The Art Institute of Chicago, 1978, n° 47, repr. p. 99.

Bibliographie

Hamel, Les Arts, nov. 1910, p. 13 - Poulain, Bazille et ses amis, 1932, n° 34, pp. 134-136, p. 217 - Laprade, Beaux-Arts, 29 mars 1935 - Guérif,  1943, A la recherche d'une esthétique protestante,  p. 24 - Sarraute, Catalogue de l'œuvre de Frédéric Bazille, 1948, n° 34, pp. 81-82 [Thèse de l'Ecole du Louvre non publiée] - Daulte, Les Arts, 9 juin 1950 (repr.) - Daulte, Bazille et son temps, 1952, pp. 69, 129, 143, 150 et n° 46, p. 185 (repr.) [Thèse sous la direction de Gaston Poulain] - Bezombes, 1953, n° 302, p. 103 - Daulte, Connaissance des arts, déc. 1970, repr. p. 88 - Marandel, Cat. exp. The Art Institute of Chicago, 1978, n° 47, repr. p. 99 - Hermann, 1980, Selected Paintings at the Norton Simon Museum, Pasadena, repr. p. 109 - Dolan, Beaux-Arts,  fév. 1990, pp. 99-103 (repr.) - Daulte, 1992, Frédéric Bazille : Catalogue raisonné de l'œuvre peint, n° 50, pp. 69, 122, 125, 134, 137, 143, repr. coul. p. 68 [Réédition de 1952 avec photos en couleur] - Michel, Bazille, 1992, pp. 247-248 - Marandel, Cat. exp. Montpellier, New York, 1992-1993, fig. 30, repr. p. 66 - Bajou, Frédéric Bazille, 1993, p. 163 (repr.) - Schulman, Frédéric Bazille : Catalogue raisonné, 1995, n° 49, repr. p. 189 - Hilaire, Jones, Perrin, Cat. exp. Montpellier, Paris, Washington, 2016-2017, fig. 16, repr. p. 40 [Les références sont du catalogue en français] - Schulman, Frédéric Bazille : Catalogue raisonné numérique, 2022, n° 49.

L’année 1869 est féconde en tableaux. Dans une lettre à ses parents, Bazille annonce cette Mauresque : « Je travaille bien en ce moment. Je viens de quitter ma palette. J’ai un modèle mauresque [...] Je ne sais même pas comment je ferai pour payer mon modèle, si, comme c’est probable, je suis forcé de le garder encore huit jours pour bien terminer » [Lettre de janvier 1869 n° 222 du catalogue raisonné de 1995].

La jeune fille pose en costume mauresque, aux manches amples et confortables. Le costume est en tissu épais, orné de torsades rouges et brique. Elle noue une large ceinture autour de sa taille, ceinture qui fait ressortir une poitrine plantureuse visible à travers un fin corsage blanc. Les yeux mi-clos, elle baisse la tête sur laquelle une coiffe de même motif que la robe laisse en partie apparaître une chevelure qu’on devine abondante. Aux pieds, elle porte des babouches à broderies d’or. Sur le mur gris-bleu pend un poignard dans sa gaine ainsi qu’un burnous rayé noir et vert. Au sol, un plateau doré dont l’effet décoratif est important. Les tissus du costume ressortent sur la couleur intense et même saturée du mur.

Le modèle que Bazille a tant de mal à payer est celui qui servit à Renoir dans la Femme d'Alger [Washington, National Gallery of Art, 1870] ainsi que dans Madame Stora en Algérienne [San Francisco, Palace of the Legion of Honor, 1870]. En réalité, le sujet n’est pas nouveau. Il avait été traité par Delacroix ainsi que par Gérôme, par exemple dans la Danse de l'Almeh [Dayton Art Institute, 1862]. Cette image de femme maure s’inscrit dans la pure tradition orientaliste très en vogue à l’époque. « On peut se demander si, en choisissant ce décor, les peintres du Second Empire ne restent pas fidèles à leurs enthousiasmes de collégiens à la lecture des orientales », écrit Daulte à juste titre [Daulte, 1992, p. 125]. Mais La Mauresque est la seule peinture orientale dans l’œuvre de Bazille et on s'étonnera qu'il ait attendu six ans après la disparition de Delacroix qu’il admirait tant pour se lancer dans un tel sujet.

Le personnage qui baisse les yeux rappelle bien sûr la Jeune Femme aux yeux baissés et La Tireuse de cartes, deux tableaux où les personnages ont les yeux traités de la même façon, si peu visibles qu’on les croirait fermés. Une fois de plus, Bazille saisit ici son modèle dans un moment, peut-être fugitif, où il s'abstrait du monde qui l'entoure.

Les portraits de Bazille ont une atmosphère qui leur est propre, une tonalité dominante. Cela est vrai de Frédéric Bazille à la palette, de la Jeune Femme aux yeux baissés, du Portrait d'Edmond Maître et aussi de La Mauresque. La lumière éclaire la partie droite du tableau et illumine le personnage comme le mur. De la sorte, on distingue mieux les harmonies et les contrastes entre le mur au bleu « d’acier frotté de carmin » [Poulain, 1932, p. 135] et le sol marron, les rouges et les blancs de la robe. Le visage est maladroitement rendu dans ses modelés qui arasent les reliefs et lui donnent une uniformité et une platitude rarement rencontrées chez Bazille. On remarque que le personnage est entouré, comme le dit Charles Durand-Ruel, « d’empâtements rehaussés de la main de l’artiste » [Cf. catalogue de la vente du 14 juin 1967]. Effectivement, les contours semblent avoir été frottés, si bien qu’on voit encore la toile au travers. Chantelou, dans Le Monde du 30 juin 1967, pose d’ailleurs la question : « Les empâtements signalés ne sont-ils pas l’indice d’une sous-peinture ? ». Son intuition était bonne puisqu’une étude faite plus tard par la Norton Simon Foundation devait révéler la présence d’une autre composition sous La Mauresque. Bazille employa d’abord sa toile pour peindre une femme allongée sur un lit, les bras derrière la tête. Au lieu de prendre une nouvelle toile pour La Mauresque, il la renversa simplement pour l’utiliser cette fois en hauteur. En tous les cas, ces contours définis par des touches larges et multi-directionnelles forment une sorte de halo autour du personnage, comme si Bazille avait voulu accentuer sa présence par cette technique surprenante.

Dans une étude intéressante, Thérèse Dolan rapproche La Mauresque du personnage de Manette Salomon dans le roman des Concourt publié en 1867 [Dolan, Gazette des Beaux-Arts, février 1990]. L’auteur y voit une source d’inspiration de Bazille : « La description détaillée de Manette dans son costume oriental se retrouve dans La Mauresque de Bazille, écrit-elle. Tout au long du livre, les Concourt mettent en relief la matérialité et la construction de la forme », ce qui s’accorde avec ce que Bazille écrit à Maître : « J’aimerais restituer à chaque objet son poids et son volume, et ne pas seulement peindre l’apparence des choses ». Le passage suivant, extrait de Manette Salomon, s’applique parfaitement à La Mauresque : « C’est dans la pose seulement que la femme n’est plus femme, et que pour elle les hommes ne sont plus des hommes. La représentation de sa personne la laisse sans gêne et sans honte. Elle se voit regardée par des yeux d’artistes; elle se voit nue devant le crayon, la palette, l’ébauchoir, nue pour l’art, de cette nudité presque sacrée qui fait taire les sens. Ce qui erre sur elle et sur les plus intimes secrets de sa chair, c’est la contemplation sereine et désintéressée, c’est l’attention passionnée et absorbée du peintre, du dessinateur, du sculpteur, devant ce morceau du vrai qu’est son corps [...] ». Peut-être Bazille se souvint-il du livre des Concourt quand il peignit La Mauresque.