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Frédéric Bazille
1841-1870

Le catalogue raisonné numérique

par Michel Schulman
© Musée d'Orsay, dist. RMN - Grand Palais/Patrice Schmitt

La Réunion de famille

1867
Huile sur toile
152 x 227 cm - 59 3/4 x 90 1/2in.
Signé et daté en bas à gauche : F. Bazille, 1867
Paris, Musée d'Orsay, France - Inv. RF 2749
Dernière mise à jour : 03-04-2022
Référence : MSb-37

Historique

Salon de 1868 - Retouché en 1869 - Marc Bazille, frère de l'artiste - Don de ce dernier au musée du Luxembourg, 1905 - Transféré au musée du Louvre, 1929 - Musée du Jeu de Paume, 1947 - Musée d’Orsay, 1986.

Expositions

Paris, Palais de l’industrie, 1868, Salon de 1868, n° 146 [Sous le titre : Portraits de la famille XXX]- Paris, Grand Palais, 1910, Rétrospective Bazille, n° 10 - Paris, Salon d’automne, 1923, Rétrospective des rétrospectives de 1904 à 1922, n° 2348 [Sous le titre : La Terrasse] - Montpellier, Exposition internationale, 1927, Rétrospective Bazille, n° 8 - Montpellier, musée Fabre, 1941, n° 23, repr. en couverture - Paris, galerie Wildenstein, 1950, n° 36 (repr.) - Londres, The Arts Council of Great-Britain, 1954, Manet and his Circle, n° 51, repr. pl . XI - Rome, Florence, 1955, Chefs d’oeuvre du XIXe siècle français, n° 1, fig. 65 - Paris, musée Jacquemart-André, 1957, Le Second Empire. De Winterhalter à Renoir, n° 7 - Bordeaux, galerie des Beaux-Arts, 1974, Naissance de l’impressionnisme, n° 83, repr. coul. pl. XVI - Chicago, The Art Institute of Chicago, 1978, n° 28, repr. p. 71 - Montpellier, New York, 1992-1993, n° 18, pp. 106-107, repr. p. 107 - Kobé, musée municipal, 1999, Rêve et Réalité, n° 34, repr. p. 80-81 - Tokyo, musée national d'Art occidental, 1999, Rêve et Réalité, n° 34, repr. p. 80-81 - Séoul, musée national d'Art contemporain, 2000-2001, L'impressionisme et l'art moderne, repr. p. 132 - Paris, musée Marmotttan Monet, 2003-2004, cat. 14, repr. p. 55 - Madrid, Fundacion Mapfre, 2010, Impressionismo : Un nuevo renacimiento, n° 12, repr. p. 177 - Tokyo, National Art Center, 2014, Naissance de l'impressionnisme, cat. 57, repr. p. 179 - Montpellier, Paris, Washington, 2016-2017, cat. 42, repr. p. 240 et pp. 128-129 et 202, 214, 216 (Détails) [Les références sont du catalogue en français].

Bibliographie

Ixe, Journal de Montpellier, 23 mai 1868 - Zola, L'Evénement illustré, 2 mai-26 juin 1868, p. 210, repris dans Ecrits sur l'art, 1991, pp. 206-211 - Castagnary, Le  Siècle, 1868, Salon de 1868, pp. 313-314 - Bénédite, Catalogue sommaire des peintures et sculptures de l'école contemporaine, musée national du Luxembourg, 1912, n° 22 - Michel, Journal des Débats, 16 avril 1920, pp. 648-649 - Bénédite, Catalogue des peintures du musée du Luxembourg, 1924, n° 15 (repr.) - Joubin, Les Beaux-Arts, 15 avril 1924, pp. 119-121 - Poulain, L'Eclair du Midi, 1er nov. 1926 - Masson, Catalogue des peintures, sculptures du musée du Luxembourg, 1927, p. 13 (repr.) - Charensol, L'Amour de l'Art, janv. 1927 - Poulain, La Renaissance de l'Art français et des industries de luxe, 1er avril 1927 (repr.)  - Poulain, ABC,  Magazine de l'Art, mai 1927, pp.115-120 - Trévise, Revue de l'art ancien et moderne, fév. 1927 - Focillon, La peinure aux XIXème et XXème siècles, 1928, pp. 211-212, repr. p. 211 - Rey, L'Art vivant, 1928, pp. 34-35 - Pastre, Thomas, Montpellier, ville inconnue, 1930, p. 75 - Poulain, Formes, nov. 1931, n° 19,  pp. 155-156 - Poulain, Bazille et ses amis, 1932, n° 23, pp. 57, 82, 85, 87, 89, 91, 94, 99-101, 108-113, 125 et p. 215 - Florisoone, Nouvelle revue des jeunes, 15 oct. 1932, pp. 1093-1094 - Descossy, Montpellier, berceau de l'impressionnisme, 1933, pp. 23-24 - Poulain, L'Art et les artistes,  juin 1934, pp. 315-319 - Gillet, Le Trésor des musées de province : le musée de Montpellier, 1935, repr. p. 239, 241 - Colombier, Candide,  4 avril 1935 - Guillaume, Colloque de Berne, 1936, vol. 1 - Romane-Musculus, Les prières des mains, 1938, repr. pl. XVI - Scheyer, Art Quarterly, printemps 1942, p. 124 - Guérif, A la recherche d'une esthétique protestante, 1943, pp. 34-35 - Hautecoeur, Littérature et peinture en France du XVIIe au XXe siècle, 1945, p. 134 - Musée de l’impressionnisme, 1947, n° 24 - Claparède, Languedoc méditerranéen et Roussillon d'hier et d'aujourd'hui, 1947, pp. 236-237 - Bazin, L'Epopée impressionniste, 1947, p. 63, repr. pl. 13 - Prinçay, Cahiers du sud, 1947, p. 869 - Sarraute, Catalogue de l'œuvre de Frédéric Bazille, 1948, n° 25, pp. 54-60 et p. 115 [Thèse de l'Ecole du Louvre non publiée] - Cogniat, Au temps des impressionnistes, 1950, repr. coul. p. 14 - Huisman, Arts, 9 juin 1950 - Daulte, Arts, 24 juin 1950 - Huygue, Museum, 1950, p. 204, repr. p. 206 - Romane-Musculus, Réforme, 24 juin 1950 - Guérif, Le Monde, 10 juin 1950 - Lacote, Arts de France, oct. 1950, pp. 44-46 - Sarraute, Catalogue exp. galerie Wildentein, Paris, 1950, n° 36 - Daulte, Bazille et son temps, 1952, n° 29, pp. 32, 63, 65, 67, 112, 116-117, 144-147, 151 et p. 78 et repr. coul. face p. 96 [Thèse sous la direction de Gaston Poulain] - Francastel, Les Belles Lettres, 1955, p. 179 - Leymarie, L'Impressionnisme, 1955, p. 47, repr. coul. détail, p. 52 - Roger-Marx, Les Impressionnistes, 1956, p. 38 - Adhémar, Bazin, Beaulieu, Sérullaz, 1958, n° 5, p. 3 - Bazin, 1958, Trésors de l'impressionnisme au Louvre, p. 102 - Adhémar, Sterling, Musée national du Louvre, 1958, n° 42, repr. pl. XIV - Allier, Lettres françaises, oct. 1959 - Bernat, Jardin des arts, oct. 1959 (repr.) - Leymarie, La peinture française : le XIXe siècle, 1962, p. 177, repr. coul. - Bazin, 1962, Trésors de la peinture au Louvre, p. 102, repr. coul. p. 103 - Aman-Jean, L'Enfant oublié, 1963, pp. 41, 48 - Courthion, Autour de l'impressionisme, 1964, p. 23, repr. coul. pl. 24 - Perruchot, La vie de Renoir, 1964, p. 53 - Guidice, Les Impressionnistes, 1965, pl. 16 - Lassaigne, Les Impressionnistes, 1966, p. 17, repr. coul. p. 21 - Elgar, Dictionnaire universel de l'art et des artistes, 1967, p. 119, repr. coul. - Cogniat, Le siècle des Impressionnistes, 1967, repr. coul. p. 20 - Lapeyre, Plaisir de France, janv. 1970, n° 10 (repr.) - Blunden, Frédéric Bazille, Journal de l'Impressionnisme, 1970, p. 78, repr. coul. - Les muses, 1970, p. 688 - Marandel, Catalogue exp. The Art Institute of Chicago, 1978, n° 28, repr. p. 71 - Roskill, Burlington Magazine, juin 1970, Early Impressionism and the Fashion Print, pp. 391-395 - Keyser, Revue belge d'archéologie et d'histoire, 1972, pp. 151-164 - Catalogue des peintures du musée du Louvre, 1972, t. I, p. 26 - Sérullaz, L'Impressionnisme, 1972, pp. 31-32, cité p. 54 - Cogniat, L'Impressionnisme, 1972, cité p. 22, repr. coul. p. 24 - Valsech, Le musée du Jeu de Paume, 1972, n° 2, p. 18 (repr. coul.) - Sérullaz, Les peintres impressionnistes, 1973, pp. 42, 52 - Rewald, Histoire de l'Impressionnisme, 1973, p. 177 [Réédition de 1946] - Champa, Studies in Early Impressionism, 1973, p. 87, repr. pl. 24 - L’Impressionnisme, t. 8, 1973, ch. 12, p. 236, 267, repr. coul. p. 242 - Huygue, La relève du réel, 1974, n° 102, p. 117 - Pillement, Sérullaz, Encyclopédie de l'impressionnisme, 1974, pp. 64-65 (repr.) - Adhémar, Distel, Catalogue du musée du Jeu de Paume, 1977, repr. p. 12 - Francastel, Les Belles Lettres, 1981, repr. p. 241 - Paris, Grand-Palais, Renoir, 1985, pp. 76, 80 - Laclotte, 1986, pp. 79-81 - Mathieu, Musée d'Orsay. Guide, 1986, p. 76, repr. coul. p. 79 - Daulte, Frédéric BazilleCatalogue raisonné de l'œuvre peint, 1992, pp. 60, 62, 106, pp. 113-114, 130-132, 138, 141-142, 145 et pp. 166-167, n° 3 (repr.) et repr. coul. p. 131 [Réédition de 1952 avec photos en couleur] - Montpellier, musée Fabre, 1991-1992, 150e anniversaire de Frédéric Bazille, p. 11, fig. 3 - Jourdan, Cat. exp. Montpellier, New York, 1992-1993, n° 18, repr. p. 106  - Bajou, Frédéric Bazille, 1993, p. 49 (repr.) - Adams, L'Ecole de Barizon : aux sources de l'Impressionnisme,  1994, p. 208, pl. 155 - Schulman, Frédéric Bazille : Catalogue raisonné, 1995, n° 37, repr. p. 161 - Cachin, L'Arte del XIX secolo, 1997, n° 611 (repr.) - Champa, Pitman, Catalogue exp. Atlanta, High Museum, 1999, fig. 47, repr. p. 89, pp. 48-51 - « Scènes de la vie de province », Plaisir de France », 1999, repr. p. 39Vermont, Valeurs de l'Art, mars-avril 2000, Hommage à Bazille, repr. p. 46 - L'Estampille-L'objet d'art, Jardins impressionnistes : la beauté éphémère, juillet-août 2009, repr. p. 32 - Barrada, Cogeval, Guégan, Catalogue exp. Madrid, Fundacion Mapfre, 2010-2011, n° 12, repr. p. 117 - Madrid, Fundacion Mapfre, 2013, Impressionistas y postimpressionistas, fig. 32, repr. p. 52 - Hilaire, Jones, Perrin, Catalogue exp. Montpellier, Paris, Washington, 2016-2017, cat. 42, repr. p. 230 et pp. 128-129 et 202, 214, 216 (détails) [Les références sont du catalogue en français] - Schulman, Frédéric Bazille : Catalogue raisonné numérique, 2022, n° 37.

C’est pendant l’été de 1867, à Méric, que Bazille exécuta La Réunion de famille. Aucun de ses autres tableaux n’est d’une importance comparable, aucun non plus n’est aussi chargé de sens. C’est à la fois l’une des œuvres les plus représentatives de cette époque de la peinture française, et l’une de celles où il affirme le plus sa propre personnalité et le rang social familial.

Ce n’est pas la première fois que Méric sert ses projets : La Robe rose, La Terrasse de Méric, Les Lauriers-roses et la Vue de village sont autant de tableaux où se manifeste le lien étroit qui s’est forgé entre Bazille et la propriété familiale.

C’est en mai 1867 qu’il annonce son intention de faire La Réunion de famille. Il précise qu’il ira d’abord à Aigues-Mortes, « après quoi, dit-il, je commencerai à Méric un grand tableau qui durera tout l’été ». Monet est au courant de ce projet : « Soignez-le bien, surtout les proportions, la mise en place », conseille-t-il à Bazille de Sainte-Adresse le 16 juillet 1867.

Adrienne Vialars, tante maternelle de Bazille, épouse d'Eugène des Hours
Adrienne Vialars, tante maternelle de Bazille, épouse d'Eugène des Hours
Pauline des Hours (1847-1910), cousine ainée de Bazille, épouse d'Emile Teulon
Pauline des Hours (1847-1910), cousine ainée de Bazille, épouse d'Emile Teulon
Emile Teulon (1838-1904), époux de Pauline des Hours
Emile Teulon (1838-1904), époux de Pauline des Hours
Thérèse des Hours (1850-1896), cousine de Bazille, épouse de Gaston Auriol
Thérèse des Hours (1850-1896), cousine de Bazille, épouse de Gaston Auriol
Camille des Hours (1851-1938), cousine cadette de Bazille, épouse de Jules Pagézy
Camille des Hours (1851-1938), cousine cadette de Bazille, épouse de Jules Pagézy
Par une belle journée d’été, la famille Bazille est réunie sous le marronnier de la terrasse de Méric. Onze personnes ont été choisies dans la proche parenté de l’artiste. De gauche à droite : Bazille lui-même, à peine visible, car il est à demi caché par son oncle Eugène des Hours. Celui-ci est en chapeau melon, la main gauche posée sur son gilet, la main droite dans la poche. Devant lui, Mme Gaston Bazille, à gauche, nous regarde, habillée d’une belle robe bleue et d’un châle plus sombre sur ses épaules. A sa gauche, son mari, Gaston Bazille, l’air sévère, est le seul personnage qui ne nous regarde pas. En poursuivant vers la droite, juste à côté du tronc du marronnier, Emile Teulon, mari de Pauline des Hours, nièce de Mme Gaston Bazille. Le couple se tient par le bras. Emile Teulon est coiffé d’un chapeau haut de forme, sa femme d’une sorte de mantille raffinée pose les bras nus. Devant elle, assises autour d’une table ronde métallique, deux jeunes filles. Celle qui nous fait directement face est Adrienne des Hours, soeur de Mme Gaston Bazille; elle porte un chapeau de paille qui dissimule un peu son visage. Devant elle et pratiquement de profil, Thérèse des Hours - qui deviendra Mme Gaston Auriol - porte une robe de mousseline à pois, magnifique, pleine de fraîcheur et de grâce. Enfin, près du petit mur, un groupe de trois personnages : Marc Bazille, le frère de l'artiste, est debout, légèrement penché derrière sa femme Suzanne, née Tissié, qui est assise sur le parapet. Elle porte une robe rayée, moins lumineuse et plus discrète que toutes les autres. A l’extrême droite enfin, habillée aussi d’une robe à pois, Camille des Hours est, comme Suzanne, assise sur le parapet et nous regarde, la tête reposant sur sa main gauche. Un panier de couture est posé sur la table du jardin. Un bouquet de fleurs, un élégant chapeau de paille pour femme et une ombrelle jonchent le sol au centre du tableau.

Les lieux sont connus. Le marronnier, aux puissants rameaux, joue le même rôle que dans Les Lauriers-roses : il forme une sorte de cadre, à l’intérieur duquel s’ordonne toute la scène.

Derrière les personnages, on distingue, au fond, entre le feuillage du marronnier et le petit mur qui ceint Méric, le village de Castelnau-le-Lez, quelques maisons blanches endormies sous le soleil. A droite, un pin parasol que l’on retrouve dans Le Petit Jardinier.

Il y a contraste entre le premier plan, où l’ombre du marronnier apporte quelque fraîcheur, et le second, où le village de Castelnau et la campagne environnante souffrent de la chaleur méridionale. Afin d’accentuer cette différence, Bazille a employé pour le premier plan des tons froids : des gris, les noirs de certaines mises; même le bouquet de fleurs par terre a des couleurs tristes et quasiment passées.

Bazille s’est livré à plusieurs études et a exécuté des dessins préparatoires qui permettent de suivre l’évolution de ses idées. Le dessin Etude pour La Réunion de famille, est vraisemblablement un dessin préparatoire pour le tableau final. Nous penchons pour cette opinion plutôt que pour celle de Joubin qui le rattache à La Terrasse de Méric. On y voit un groupe de personnes réunies autour d’une table ronde. D’autres dessins, plus partiels, ont également servi à La Réunion de famille. Il s’agit par exemple des Etudes de mains [celles de Thérèse des Hours], de l'Etude de main [celle d’Emile Teulon] et des Etudes de profils de femmes. Mais deux dessins hors album conservés au musée du Louvre sont en fait les véritables études pour La Réunion de famille : Etude pour La Réunion de famille et Etude pour La Réunion de famille. Ces dessins prouvent, de façon certaine, que Bazille possédait dès le début de son projet les éléments de sa mise en scène. 

Poulain dit de La Réunion de famille qu’elle est un « extraordinaire document psychologique d’une classe sociale sous le Second Empire » [Poulain, 1932, p. 91]. Bazille, ajoute-t-il, apportait à son œuvre son hérédité protestante, ce qui contribua à rendre sa réalisation « impitoyablement exacte et austère ». On perçoit évidemment une rigueur dans le comportement et la mise des personnages de La Réunion de famille. Plus que leur habillement, leurs regards sont significatifs, chacun - sauf Gaston Bazille - se tournant vers nous d’un air plutôt sévère.

Il existe comme une « secrète conjonction entre l’artiste et ses modèles », dit de son côté Guérif qui consacra une thèse aux aspects protestants de la peinture de Bazille [Guérif, 1943, p. 34]. Mais il lui semble que ces personnages, s’ils sont apparemment austères, n’en expriment pas moins une « austérité heureuse ». C’est dans cette atmosphère que Bazille s’intègre et coule des jours sereins. Hautement symbolique est sa présence dans ce tableau : il souligne ainsi son appartenance au milieu familial. Mais pourquoi se relègue-t-il dans ce coin, à peine visible ? Peut-être parce qu’il lui est difficile de se représenter lui-même. « Je travaille en ce moment à mon portrait dans le tableau de Méric, il me donne beaucoup de peine », écrit-il au début de janvier 1868. Il fait à nouveau allusion à ce problème dans une lettre du 20 janvier : « Je me suis fait moi-même dans le coin, je ne suis pas du tout ressemblant, mais cela ne fait rien pour l’exposition, surtout pour être refusé. Je me referai à Montpellier ».

Le « grand tableau » de Bazille fut envoyé au Salon de 1868. « Enfin la famille X... figurera à l’exposition, j’espère qu'elle sera vue, et je souhaite qu’elle soit éreintée », dit-il dans la deuxième quinzaine d’avril 1868. Le tableau fut accepté mais la critique lui accorda peu de lignes. Zola, après avoir consacré un long passage à Monet, écrit que le tableau « témoigne d’un vif amour de la vérité » et ajoute : « On voit que le peintre aime son temps » [Zola, « Mon Salon », 1868]. Si bref que soit son commentaire, Zola a su capter toute la signification du tableau de Bazille. Quant à Castagnary, tout attiré qu’il est par Manet, Monet et Renoir, il remarque à peine le tableau de Bazille, désolé cependant de le voir « dans les combles, non loin des grands Navires de Monet ».

Nous sommes loin des envolées destructrices ou laudatrices; La Réunion de famille, quoique acceptée au Salon, passa généralement inaperçue. Bazille lui-même, qui aurait préféré la critique à l’indifférence, ne fît aucun commentaire. C’est un de ses compatriotes montpelliérains qui, sous le pseudonyme de J. Ixe, fit l’analyse la plus argumentée : « Quant à la silhouette générale, la composition s’échelonne malheureusement en flûte de Pan, montant de droite à gauche. Je veux encore insister sur le pittoresque de certaines attitudes, et dire l’accent des physionomies probablement très ressemblantes, la franchise de certains morceaux, évidemment copiés sur la nature; mais le sol est plus perpendiculaire qu’horizontal... le tronc si grêle de l’arbre ne porterait pas son large et lourd feuillage. Quant au fond du paysage, il est vu et fait à part, l’œil du peintre paraissant s’être déplacé, au moment de son exécution, du sujet principal. M. Bazille, évidemment coloriste et même autre chose encore s’il le veut honnêtement, m’est vraiment sympathique par ses qualités. Si ses défauts me rendent quelque peu malveillant, je l’avoue, c’est qu’ils n’ont pas même emprunté au charlatanisme du voisin le mérite d’être à lui » [J. Ixe, Journal de Montpellier, 23 mai 1868]. Le voisin, qualifié de charlatan, est évidemment Monet dont une marine était exposée à côté du tableau de Bazille.

On reconnaîtra à Ixe la justesse de certaines de ses remarques, notamment quand il parle de « physionomies probablement très ressemblantes », de « la franchise de certains morceaux, évidemment copiés sur nature ». On éprouve cependant parfois des difficultés à le suivre. La Réunion de famille est en réalité une page éclatante de l’œuvre de Bazille : elle montre que, parvenu au milieu de sa courte carrière, il pouvait à la fois donner à son art l’accent du classicisme et celui de la modernité.

Plusieurs rapprochements s’imposent ici. Francastel voit dans cette toile la suite directe des Femmes au jardin de Monet. La comparaison ne vaut que pour le sujet lui-même, les deux tableaux étant peints dans un esprit fort différent. Bazille a voulu faire du sien un portrait de famille, Monet une « partie de campagne », dans laquelle l’identité des personnages a une importance secondaire. L’assimilation s’arrête donc là en ce qui concerne La Réunion de famille, et la « parenté fraternelle entre la jeunesse de Monet et celle de Bazille » [Focillon, 1928, p. 212] dont parle Focillon est sans incidence sur « l’image de l’être humain » dans le paysage que nous donnent ces deux peintres. Dans cet étonnant portrait de groupe, il y a, dit Focillon, « une poésie de daguerréotype ». Effectivement Bazille a donné une fixité à ses personnages, fixité qu’on ne retrouve pas chez Monet car les personnages des Femmes au jardin sont en mouvement. Dans son étude Early Impressionism and the Fashion Print, Mark Roskill croit déceler, chez les personnages de Monet entre autres, l’influence des gravures de mode de cette époque. Cette idée vaut peut-être aussi pour Bazille, et pourrait alors contribuer à expliquer la fixité de ses figures. Quoi qu’il en soit, ce qui le rapproche ici de Monet, c’est bien plutôt sa sensibilité à la lumière.

Ici encore, le talent de Bazille s’exprime par le choix et la juxtaposition des couleurs, leur délicatesse, les bleus des toilettes féminines, des robes douces et amples qui rappellent le bleu du ciel languedocien. Le corsage de Thérèse des Hours au premier plan et celui de Camille des Hours sur le parapet, laissent apparaître la peau de leur bras gauche. Les robes à pois - dont certains fragments existent encore dans la famille - identiques à celles de Monet, donnent un accent de jeunesse au tableau, accent contrebalancé par la robe bleu foncé de Mme Gaston Bazille, qu’un châle noir rend encore plus sévère. La robe rayée de Suzanne Tissié n’est pas aussi élégante, recouverte qu’elle est d’une sorte de grand tablier noir. Bazille a noté la différence entre sa mère et ses cousines, non seulement dans l’habillement mais aussi dans les attitudes. Il a rendu ses cousines plus souples, plus détendues, alors que Mme Gaston Bazille est raide, sentiment qu’elle ne donne d’ailleurs pas dans ses lettres - affectueuses - à son fils.

Les hommes sont tous aussi marqués du sceau de l’élégance et de la distinction. Chacun porte col blanc et nœud, Eugène des Hours un chapeau mou, Emile Teulon un haut de forme. L’élégance est apportée par « une certaine tendance à l’allongement comme chez Manet », dit Daulte, ce qui fait croire que chaque homme est aussi grand que Bazille lui-même, alors que ce n’était, semble-t-il, pas le cas.

Quant au graphisme qui, pour Gaston Poulain, constitue le propre du pré­-impressionnisme, il est, dit-il, « exempt du trait appuyé de Manet », ce qui n’est toutefois pas l’avis de Daulte pour lequel « les statures des hommes... sont modelées en plein jour, presque sans reflets, délimitées par un cerne noir, qui leur donne quelque rigidité » [Daulte, 1992, p. 136]. Il nous semble pourtant que ces cernes sont ici peu utilisés; et nous nous rallions plus volontiers au sentiment de Charensol qui, tout en reconnaissant l’influence de Manet sur Bazille, ne la perçoit pas dans La Réunion de famille : « Avec Berthe Morisot, Bazille reste le seul peintre qui ait subi directement et profondément l’influence d’Edouard Manet. Cependant, si nous examinons par exemple, les œuvres que nous présente le Luxembourg, nous constatons que, dans la plus remarquable, cette influence ne se manifeste en aucune façon... cette Réunion de famille... contient certaines gaucheries que nous ne trouvons plus dans son Atelier [de la rue La Condamine] qui lui est de trois ans postérieur : le paysage est un peu trop vert, le ciel un peu trop bleu, les visages un peu trop linéaires et la composition assez lâchée... On peut dire, certes, que tout cela vaut plus par le dessin que par la couleur » [Charensol, L'Amour de l'Art, 1927, n° 1, p. 28]. Il faut reconnaître que La Réunion de famille n’est pas la preuve la plus flagrante qu’on puisse trouver pour démontrer l’influence de Manet sur Bazille, le Portrait d'Alphonse Tissié en cuirassier et le Portrait d'un dragon étant certainement de meilleurs exemples.

La Réunion de famille est un chef-d’œuvre où l’on trouve résumées les grandes recherches de la peinture à cette époque. Elle éclaire les affinités de Bazille et met en lumière ses particularités sociales, familiales et, bien sûr, artistiques. Une de ses préoccupations essentielles fut d’intégrer ses personnages dans le paysage en plein air. Joubin se demandait même à ce propos si la postérité ne lui attribuerait pas la gloire d’avoir créé la technique moderne du modelé des figures dans la lumière. La Réunion de famille lui donne pleinement raison.

D’autres artistes ont pris pour thème une semblable « galerie de portraits », à commencer par Charles-François Daubigny dans sa Réunion sous les arbres. Marandel rapproche aussi à juste titre le tableau de Bazille du Balcon du Cercle de la rue Royale de James Tissot, peint en 1867, qui est aussi une galerie de portraits - d’hommes seulement - marquée par un conformisme dont La Réunion de famille est exempte. Caillebotte, à son tour, issu du même milieu social que Bazille et protestant lui aussi, peindra un Portrait à la campagne en 1876. Il s’agit d’une scène austère. « Caillebotte bénéficie cependant de l’apport de l’impressionnisme qui lui permet de traduire avec plus de liberté et d’instantanéité une scène de la vie quotidienne », écrit Marie Bérhaut [Bérhaut, Cat. raisonné Caillebotte, 1978, p. 41]. Bazille était pourtant capable de cette « instantanéité »; ses dessins le prouvent et montrent que tout, dans la vie à Méric, lui tenait profondément à cœur. Le Jardin des Tournels(1883) d’Auguste Pégurier représente une scène identique. Plus tardive, enfin, est La Réunion de femmes et d’enfants de Maurice Marinot exposée au Salon de 1909. On voit ainsi à quel point ces artistes pouvaient, tout en travaillant dans des directions similaires, aboutir à des solutions différentes.

Notons enfin que le véritable nom de La Réunion de famille, celui que lui avait donné Bazille et sous lequel il parut au Salon, est Portraits de la famille XXX. Il serait difficile de revenir aujourd’hui sur un usage qui s’est imposé. Mais chacun des deux titres a sa justification propre; chacun met en effet l’accent sur un aspect essentiel du tableau, aussi remarquable par la force du lien familial qu’il exprime que comme galerie de portraits individuels.

Si vous êtes intéressé par les relations familiales des Bazille, Vialars et autres cousins, nous vous recommandons de consulter le site généalogique de Patricia Pagézy-Wiriath, descendante de Camille des Hours. Nous la remercions particulièrement pour les informations que nous y avons puisées sur ces familles.

 

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