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Frédéric Bazille
1841-1870

Le catalogue raisonné numérique

par Michel Schulman
© Musée Fabre, Montpellier Méditerranée Métropole / photographie Frédéric Jaulmes

Vue de village

1868
Huile sur toile
137,5 x 85,5 cm - 54 3/4 x 33 3/4 in.
en bas à droite : F. Bazille Juillet 1868
Montpellier, Musée Fabre, France - Inv. 898.5.1
Dernière mise à jour : 29-03-2022
Référence : MSb-46

Historique

Famille de l'artiste, Montpellier - Don de Mme Gaston Bazille, mère de l'artiste, au musée Fabre, 1868.

Expositions

Paris, Palais de l'Industrie, 1869, Salon de 1869, n° 149 - Paris, Grand Palais, 1900, Centennale de l'art français, n° 22 - Paris, Grand Palais, 1910, Rétrospective Bazille, n° 14 - Montpellier, Exposition internationale, 1927, Rétrospective Bazille, n° 17 - Paris, Association des étudiants protestants, 1935, n° 18 - Paris, musée de l'Orangerie, 1939, n° 5 - Berne, Kunsthaus, 1939, n° 4 - Montpellier, musée Fabre, 1941, n° 25 - Bruxelles, musée des Beaux-Arts, 1947-1948, n° 104, repr. pl. 52 - Paris, galerie Wildenstein, 1950, n° 41 - Montpellier, musée Fabre, 1959, n° 29 - Montpellier, musée Fabre, 1970-1971, Hommage à Frédéric Bazille [s.n.] - Bordeaux, galerie des Beaux-Arts, 1974, Naissance de l'impressionnisme, n° 86, repr. p. 123 - Paris, Grand Palais, 1974, Centenaire de l'impressionnisme, n° 1, p. 37 -  Chicago, The Art Institute of Chicago, 1978, n° 30, repr. p. 74 - Montpellier, musée Fabre, 1985, n° 38 (repr.) - Montpellier, New York, 1992-1993, n° 20, repr. p. 110 - Paris, New York, 1994-1995, Les Origines de l'Impressionnisme : 1859-1874, n° 9, repr. pl. 182 - Atlanta, High Museum, 1999, n° 20, repr. p. 88 - Montpellier, musée Fabre, 2001, Chefs d'oeuvre du musée Fabre et du musée d'Orsay [s.n.] - Paris, musée Marmottan Monet, 2003-2004, cat. 18, repr. p.61 - Madrid, Bilbao, 2005, De Rafael a Degas, n° 49 - Lausanne, Fondation de l'Hermitage, 2006, n° 88 - Montpellier, Paris, Washington, 2016-2017, cat. 45, repr. p. 242 et pp. 102, 117 (Détails) et p. 134 [Les références sont du catalogue en français].

Bibliographie

Catalogue de l'exposition centennale, Paris, 1900, n° 22, repr. p. 43 - Joubin, Catalogue des peintures et sculptures des galeries du musée Fabre, Montpellier, 1926, n° 361, p. 114 - Poulain, L'Eclair  du Midi, 1926, p. 2 - Poulain, La Renaissance de l'art, 1927, pp. 168, 172-173 - Poulain, Bazille et ses amis, 1932, n° 29, pp. 124-127, 146-148, 216-217 - Poulain, L'Art et les artistes, 1934, p. 318 - Poulain, Cat. exp. musée Fabre, Montpellier, 1941, n° 25 - Sarraute, Catalogue de l'œuvre de Frédéric Bazille, 1948, n° 29, pp. 67-71 [Thèse de l'Ecole du Louvre non publiée] - Sarraute, Cat. exp. galerie Wildenstein,  1950, n° 41 - Sarraute, Arts, 1950, p. 8 - Daulte, Bazille et son temps, 1952, n° 36, pp. 180-181 [Thèse sous la direction de Gaston Poulain] - Claparède, Catalogue du musée Fabre, 1965, t. IV, pp. 26-29 [Non publié, dactylographié] - Champa, Studies in Early Impressionism, 1973, pp. 88-89 - Marandel, Cat. exp. The Art Institute of Chicago, 1978, n° 30, p. 74 - Daulte, Frédéric Bazille : Catalogue raisonné de l'œuvre peint, 1992, n° 39, pp. 75, 170 [Réédition de 1952 avec photos en couleur] - Jourdan, Catalogue exp. Montpellier, New York, 1992-1993, n° 20, pp. 111-112 - Bajou, Frédéric Bazille, 1993, pp. 136, 169-172 - Tinterow, Cat. exp. Paris, New York, 1994-1995, n° 9, p. 333 - Schulman, Frédéric Bazille : Catalogue raisonné, 1995, n° 46, repr. p. 183 - Champa, Pitman, Cat. exp. Atlanta, High Museum, 1999, n° 20, repr. p. 88,  pp. 88-89 - Hilaire, Cat. exp. Madrid, Bilbao, 2005, n° 49, pp. 150, 209 - Hilaire, Catalogue exp. Lausanne, Kunsthaus, 2006, n° 88, p. 227 - Hilaire, Guide du musée Fabre, 2006, n° 175, p. 190 - Waller, The Art Bulletin, juin 2007, pp. 258-259 - Hilaire, Jones, Perrin, Cat. exp. Montpellier, Paris, Washington,  2016-2017, cat. 45, repr. p. 242 et pp. 102, 117 (Détails) et p. 134 [Les références sont du catalogue en français] - Schulman, Frédéric Bazille : Catalogue raisonné numérique, 2022, n° 46.

Avec la Vue de village, œuvre maîtresse de Bazille, « une ère nouvelle s’ouvre pour la peinture française », écrit Gaston Poulain [Poulain, 1932, p. 125]. Dans le prolongement de La Robe rose et de La Réunion de famille, la Vue de village confirme tout l’intérêt de Bazille pour la peinture en plein air, pour l’insertion des personnages dans un paysage et pour le Midi languedocien.

Une nouvelle fois, c’est dans la propriété de Méric sur les hauteurs de Montpellier que Bazille a trouvé le sujet de son tableau. Sous un petit pin parasol, une jeune fille est assise; elle nous regarde tandis qu’en contre­bas, derrière le bois de Bel-Air, coulent lentement les eaux du Lez que domine le village de Castelnau.

Dans une lettre à son père de la fin mars 1868, Bazille écrit : « Il faut absolument que je trouve un joli modèle de femme vêtue [...] Il me tarde d'être au travail à Méric; je compte faire poser la petite de Saint-Sauveur, mais j'aimerais bien aussi avoir un petit modèle de jeune fille avec une figure et de jolies mains ». C'est effectivement ce qu'il peint ici d'une façon appliquée.

D’après la tradition familiale, Bazille eut pour modèle la fille du métayer italien de Méric. Sa robe blanche aux fines et discrètes rayures lui dégage le cou; elle est élégante et fait penser à un vêtement de fête ou du dimanche; élégante aussi sa large ceinture qui n'est pas, non plus, celle de tous les jours. Enfin, le ruban qui lui entoure la tête, comme les rayures de sa robe et sa ceinture, est de couleur brique; et ces rappels de ton traduisent un souci d’harmonie qu’il faut sans doute attribuer à l’artiste organisant son tableau plutôt qu’à son modèle. Entre la jeune fille et le Lez, un petit bois, celui de Bel-Air, vient rafraîchir de sa verdure une campagne desséchée. Puis vient le Lez, filet d'eau plus que rivière, qui coule paresseusement, et dont le lit laisse voir, épars, des îlots de sable ocre et d’herbe brûlée. Enfin, au dernier plan, le village de Castelnau-le-Lez qui dort sous un soleil de plomb. Les maisons, géométriquement dessinées, sont plus éloignées que dans La Robe rose. Alors que, dans ce dernier tableau, la jeune fille se tourne et conduit nos yeux vers le village, ici, au contraire, elle capte et retient notre regard, ne laissant ainsi aux maisons qu’une place secondaire.

Le tableau a reçu les noms les plus divers : Jeune Fille assise dans la campagne, Jeune femme au pied d’un arbre, Jeune fille assise dans un paysage, Terrasse de Bel-Air, Vue du village de Castelnau. Mais, il fut présenté au Salon de 1869 sous le nom donné par Bazille : Vue de village.

De cette jeune fille émane, comme le dit Mullins « une certaine tendresse... une confiance suffisante » [Mullins, avril 1971, pp. 30-35] qui permet à Bazille de peindre son sujet de face, ce qui n’est pas toujours le cas. Dans Etudes pour une vendange, dans ses deux tableaux faits à Chailly et dans les Bords du Lez, Bazille a peint le paysage pour lui-même. Ici, au contraire, le but est de rendre sensible le lien qui l’unit au personnage. Bien que toujours essentiel à l’atmosphère générale, il n’est plus qu’un élément du tableau.

Bazille n’a pas hésité, à plusieurs reprises, à donner un cadrage naturel à ses tableaux. Dans La Réunion de famille et dans Les Lauriers-roses, il a placé le sujet sous un arbre. Ici, l’opération se renouvelle, un peu de la même manière. Le pin parasol fournit une limite à la fois verticale et horizontale au tableau.

Le graphisme n’est cependant pas toujours aussi heureux que dans d’autres œuvres. Bazille semble en effet avoir du mal à rendre certaines formes comme le visage et les mains, sans parler de la longue écharpe qui ceint la jeune fille. Cette écharpe se perd dans ses propres plis et on discerne mal son mouvement. Rien à voir ici avec Cézanne qui rendait admirablement les formes et les plis des tissus dans ses natures mortes.

Le visage pourpre de la jeune fille, en particulier sa joue droite, se détache, sans transition, de la masse verte des arbres. Certains d’entre eux sont, soit ébauchés comme celui de gauche, soit représentés de façon globale comme celui qui est à droite du pin parasol. A l’arrière-plan, les collines sont plus esquissées que véritablement dessinées. En fait l’accent est mis sur la couleur; c’est elle qui suggère les formes. Non pas celles du personnage, mais celles des arbres qui n’existent que par leurs masses vertes ou ocres, et celles des maisons réverbérant le soleil du Midi. « Cette fois, dit Poulain, l’extraordinaire luminosité est rendue dans toute sa magnificence, la crudité des coloris éclate telle que la révèle le jour unique. Ce jour, la noblesse du site, le type même de la jeune fille assise au premier plan, grave et un peu raide sous ses vêtements de fête, tout cela est la synthèse du Languedoc » [Poulain, juin 1934, p. 318].

Visitant le musée Fabre, Paul Valéry, lui aussi, sera frappé par l’originalité du tableau et dira que « cette campagne ne ressemble à aucune autre » [Poulain, Itinéraires, nov. 1942]. Le rapport entre l’ombre et la lumière est ici essentiel; mais nous sommes aux antipodes de l’impressionnisme, d’où la remarque de Max Allier : « Nulle part, on ne perçoit dans sa manière une aspiration à désintégrer les formes et à les faire danser dans la scintillation imprécise de la lumière » [Allier, oct. 1959]. Lumière plus franche, plus directe, plus languedocienne encore que dans La Robe rose où les couleurs sont plus assourdies.

Au loin, le village de Castelnau et les collines alentour font déjà penser à Cézanne et à sa préfiguration du cubisme. On le remarque particulièrement dans les maisons qui s’enchevêtrent, blanches et ocres, comme pour se cacher les unes les autres et ne donner qu’une vision globale. Rien de tel dans La Robe rose ni aucune des autres œuvres de Bazille, car la simplification de la forme n’y est pas le but recherché.

Plusieurs œuvres de peintres contemporains peuvent être comparées à la Vue de village. On peut ainsi en rapprocher Argenteuil de Monet où l’on voit une jeune fille assise sur les bords de la Seine. Quant à la robe rayée, on la retrouve par exemple dans Sisley et sa femme et En été de Renoir ainsi que dans Le Port de Lorient où Berthe Morisot a représenté sa sœur Edma sur un petit mur face au port.

Bazille exécuta plusieurs dessins préparatoires pour la Vue de village, le plus significatif étant la Etude pour la Vue de village qu’il a mis au carreau. On ne sait pas au juste comment il conçut son tableau à travers des dessins préparatoires dont on ignore la progression. On peut au mieux constater les différences à travers les diverses positions  de la jeune fille, au loin le dessin du village plus ou moins abouti et enfin par le pin parasol dont le premier jet n'est finalement qu'un trait de crayon. Bazille fit de ce tableau une eau-forte laquelle, selon Hilaire « fut tirée post mortem à une cinquantaine d'exemplaires ». Précisant qu'il s'agit-là de « la seule incursion connue de Bazille dans le domaine de la gravure » [p. 137] [Voir Vue de village dite aussi l'Arlésienne, la seule eau-forte que nous connaissions de Bazille].

Bazille a peint la Vue de village pendant l’été de 1868, sans doute avec l’idée de l’exposer au Salon de 1869. En février 1869, c’est-à-dire quelques semaines seulement avant de l’y envoyer, il donne des nouvelles de son tableau à ses parents : « Le tableau de la petite Italienne que vous aviez tout l’air de trouver mauvais, a eu un succès fou auprès d’une masse de peintres, à qui je l’ai montré depuis peu ». De fait, la Vue de village sera acceptée, alors que le Pêcheur à l'épervier, présenté en même temps, sera refusé.

La critique ne fut pas plus abondante que pour La Réunion de famille, peut-être parce que, comme l’écrivit Bazille à son père le 2 mai 1869, son tableau était « aussi mal placé que possible ».

Berthe Morisot le remarqua pourtant et, dans une lettre à sa sœur, en fît l’éloge : « Le grand Bazille a fait une chose que je trouve fort bien; c’est une petite fille en robe très claire, à l’ombre d’un arbre derrière lequel on aperçoit un village. Il y a beaucoup de lumière et de soleil. Il cherche ce que nous avons si souvent cherché : mettre une figure en plein air; cette fois, il me paraît avoir réussi ». Léon Gautier, dans le Salon de 1869, ne manifesta qu’incompréhension : « Quelle idée bizarre a saisi le cerveau de M. J. Bazille (sic), lorsqu’il a peint sa Vue de village, et pourquoi cette femme vêtue de blanc, qu’il a placée sur un premier plan ? Mystère, mystère. Le paysage lui-même est singulier... pour ne rien dire de plus » [Gautier, 30 juin 1869, pp. 1-2]. Quant à la critique du Journal de Montpellier du 12 juin 1869, elle est finalement laudatrice : « On hésite d’abord entre les qualifications d’excentrique et de naïf les plus opposées. En définitive, il faut reconnaître absolument vraies les hardiesses de la composition et de la couleur ».

La Vue de village fut croquée par Gill dans La Parodie du 4 juin 1869. 

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La Robe rose - Huile sur toile - 147 x 110 cm - Musée d'Orsay (MSb-10)
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