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Frédéric Bazille
1841-1870

Le catalogue raisonné numérique

par Michel Schulman
© Arp Museum Bahnhof Rolandseck, Remagen/Ph. Mick Vincenz, Zurich

Pêcheur à l'épervier

1868
Huile sur toile
137,8 x 86,6 cm - 54 1/4 x 34 in.
en bas à droite : F. Bazille Juillet 1868
Remagen, The Arp Museum Bahnhof Rolanseck, Allemagne - Inv. GR.1.653
Dernière mise à jour : 26-12-2023
Référence : MSb-45

Historique

Famille de l'artiste, Montpellier - Marc Bazille, frère de l'artiste, Montpellier - André Bazille, son fils, Montpellier - Mme Rachou-Bazille, sa fille, née Andrée Bazille - Jean Davray, Genève, après 1959 - Vente Paris, Palais Galliéra, 23 juin 1961 [n.n.] - Collection particulière - Collection Rau pour l'UNICEF/Arp Museum Bahnhof Rolandseck, Remagen, Allemagne.

Expositions

Paris, Grand Palais,1910, Salon d'automne, n° 15 [Sous le titre : Jeune homme jetant l'épervier] - Montpellier, Exposition internationale, 1927, Rétrospective Bazille, n° 19 - Liège, Exposition internationale de l'eau, Section Beaux-Arts, n° 11-  Paris, galerie Wildenstein, 1950, n° 40 - Montpellier, musée Fabre, 1959, n° 28 - Montpellier, New York, 1992-1993, n° 19, repr. p. 108 - Paris, New York, 1994-1995, Impressionnisme. Les Origines 1859-1874, n° 10, p. 334, repr. pl. 153 [Les références sont du catalogue en français] - Paris, musée Marmottan Monet, 2003-2004, cat. 17, repr. p. 59 - Remagen, Arp Museum Bahnhof Rolandseck, Supezfranzösisch, 2010-2011, p. 46 - Montpellier, Paris, Washington, 2016-2017, cat. 47, repr. p. 242 et p. 145 [Les références sont du catalogue en français] - Remagen, Arp Museum Bahnhof Rolandseck, 2021-2022, p. 51, repr. 52 - Metz, Centre Pompidou, 2023, Suzanne Valadon. Un monde à soi, cat.138, repr. p. 143 [Le tableau n'a été présenté qu'au Centre Pompidou de Metz en 2023-2024].

Bibliographie

Poulain, La Renaissance de l'Art français et des industries de luxe, 1927, repr. p. 173 -  Poulain, Bazille et ses amis, 1932, n° 28, p. 122-124 - Sarraute, Catalogue exp. galerie Wildenstein, 1950, n° 40 - Daulte, Bazille  et son temps, 1952, n° 50, p. 180 [Thèse sous la direction de Gaston Poulain] - Allier, Lettres françaises, oct. 1959 - Leymarie, Les grandes collections privées, 1963, p. 255 - Paris, musée national d'Art moderne, 1967, Suzanne Valadon, p. 40 - Champa, Studies in Early Impressionism, 1973, fig. 126, pp. 88-89 - Marandel, Catalogue exp. The Art Institute of Chicago, 1978, n° 32, p. 77 - Daulte, Frédéric Bazille : Catalogue raisonné de l'œuvre peint, 1992, n° 38, pp. 169-170 [Réédition de 1952  avec photos en couleur] - Michel, Bazille, 1992, p. 242 - Bajou, Frédéric Bazille, 1993, pp. 169-171 - Vuatone, Cat. exp. Montpellier, New York, 1992-1993, n° 19, repr. p. 108 - Tinterow, Cat. exp. Paris, New York, 1994-1995, n° 10, p. 334 - Schulman, Frédéric Bazille : Catalogue raisonné, 1995, n° 45, repr. p. 180  - Pitman, Bazille : Purity, Pose and Painting in 1860s, 1998, pp. 151-153 - Champa, Pitman, Cat. exp. Atlanta, High Museum, 1999, fig. 32, repr. p. 74, pp. 67-95 - Guégan, Beaux-Arts Magazine, 2003, p. 48 - Hilaire, Jones, Perrin, Cat. exp. Montpellier, Paris, Washington, 2016-2017, cat. 47, repr. p. 243 et p. 145 [Les références sont du catalogue en français] - Schulman, Frédéric Bazille : Catalogue raisonné numérique, 2022, n° 45.

 

Le Pêcheur à l’épervier est un thème nouveau puisque, auparavant, Bazille n’avait traité dans ses peintures que des nus féminins. C’est pendant l’été de 1868 qu’il exécuta ce grand tableau inattendu où un homme nu, de dos, la tête tournée vers la droite, de profil, lance un épervier. Au second plan, un autre homme, nu lui aussi, est assis dans l’herbe. Au bout du champ planté de grands arbres drus, on aperçoit, entre deux massifs, le Lez, aux eaux éclairées par un rayon du soleil. Au fond à gauche, des toits de maisons qui sont vraisemblablement celles du village de Castelnau.

Avec ce tableau de nu masculin, Bazille reprend un thème abandonné depuis David et Géricault. Le personnage du pêcheur est le centre du sujet. Selon Sarraute, ce serait un « Savoyard que connaissait Marc Bazille », le frère de l’artiste. Cet homme moustachu, aux épaules larges et puissantes, lance un filet lesté de plomb, ce qui explique l’ampleur de son mouvement renforcé par la position des jambes et des pieds qui cherchent leur assise. Le mouvement, difficile à restituer, est pourtant bien rendu. Seul le pied gauche n’est pas vraiment planté dans l'herbe comme il le faudrait. Le second personnage est, lui, moins achevé. Même s’il s’agit-là d’un personnage secondaire, Bazille a voulu montrer son caractère viril en lui donnant de larges épaules et un cou puissant.

Le Pêcheur à l’épervier, que Claparède qualifie de « toile inégale » [Lettre de Jean Claparède à Germain Bazin du 3 juin 1960], fait l’objet d’un long développement de Gaston Poulain : « La première toile que Frédéric exécute cet été là n'a que la valeur d’une expérience aux qualités hétérogènes... Le nu qui y est dressé est d'un ton trop uniforme pour que nous puissions croire au voisinage immédiat de l'eau, du soleil et de masses colorées telles que l’herbe et les feuillages... Cet homme pose beaucoup trop, car son geste n’est nullement en rapport avec le maintien du corps... son anatomie est loin d’être satisfaisante... La tête est, par contre, jeune et très belle, et le paysage de fond absolument exquis, avec sa rangée reculée de peupliers bleutés, avec son ruisseau clair coulant derrière le décor papillotant des frondaisons, campées selon la manière de Monet dans le Déjeuner sur l’herbe, autour d’arbres aux troncs cernés, d’une facture et d’un esprit opposés, ceux-ci absolument apanages de Bazille. Le jeune homme jetant l’épervier doit être considéré non comme l’œuvre d’une maturité, mais comme un essai indispensable et fructueux » [Poulain, 1932, pp. 122-123].

On ne peut dire avec la certitude de Poulain que le Pêcheur à l’épervier précède la Vue de village. Ce sont deux tableaux que Bazille fit à la même époque mais l’un n’annonce pas nécessairement l’autre.

Le personnage central du tableau n’est pas placé directement sous les rayons du soleil; c’est ce qui explique la tonalité générale de sa peau qui semble surprendre Poulain et qui, effectivement, n’est pas en rapport avec « la chaleur torride » dont il parle. Le pêcheur est sous les arbres qui, par endroits seulement, laissent filtrer des rayons. Le modelé de la peau donne une idée exacte et conforme de la musculature du personnage. Heureusement, Poulain n’y voit pas que des incongruités et ses compliments sur les harmonies de couleurs sont pleinement justifiés. Certes on peut, comme le fait Marandel, discerner un certain éclectisme dans ce tableau dont la technique se rapproche de celle de Sisley dans sa période de Marlotte vers 1866. Ce qui frappe, ce sont les touches larges et vigoureuses des petits arbres verts près des maisons et la technique des feuillages qui est celle de L’Allée de châtaigniers à la Celle-Saint-Cloud [Paris, Petit-Palais, 1865]. Au premier plan, on retrouve la technique des paysages de Fontainebleau et de la Vue de village que Bazille peignit à la même époque.

Le Pêcheur à l’épervier annonce en fait la Scène d'été; il annonce aussi les nus et les baigneurs de Cézanne. De toute évidence, Bazille cherche à nouveau ici à insérer un personnage dans un paysage, idée qui le poursuit dès ses débuts.

Le tableau figure au-dessus de l’escalier dans l’Atelier de la rue La Condamine. Bazille le présenta au Salon de 1869 où il fut refusé. Il existe un dessin préparatoire : Etude pour le Pêcheur à l'épervier. Peut-être Sarraute a-t-il raison de penser qu’un autre dessin préparatoire, Etude pour la Scène d'été, où le personnage à l’extrême gauche prend une position presque identique, était également destiné à ce tableau ?

Les lanceurs de filets, Suzanne Valadon, Centre Pompidou, Paris. En dépôt au musée des Beaux-Arts, Nancy depuis 1998
Les lanceurs de filets, Suzanne Valadon, Centre Pompidou, Paris. En dépôt au musée des Beaux-Arts, Nancy depuis 1998
Le thème de la pêche était fréquent au XIXe siècle. On suppose que Le Travail ou Le Repos de Puvis de Chavannes [Musée d’Amiens] servit d’inspiration au tableau de Bazille. Suzanne Valadon s’inspira sans doute elle-même du Pêcheur à l’épervier pour faire Les Lanceurs de filets [Paris, musée national d’Art moderne, 1914].

On ne peut éviter de voir dans ce nu masculin une ode à Rome et à Athènes et à la beauté que les nombreux sculpteurs ont exprimé en « forgeant » ces corps parfaits. Perrin n'hésite pas à écrire que « le peintre, sans doute, exprime ici une sensibilité particulière à la beauté du corps masculin. » [p. 243]. Faut-il voir ici une réponse à ses tergiversations amoureuses ? Que ses lettres nous susurrent.

Rentré à Paris à la mi-novembre, Bazille récolte les compliments de ses amis pour ce nu inattendu. Refusé par le jury du Salon, le Pêcheur à l'épervier viendra honorer les murs de son atelier de la rue La Condamine qu'on verra dans son tableau au-dessus de l'escalier.

Le Pêcheur à l'épervier est certainement une des plus belles œuvres de Bazille dont l'énigme ne sera sans doute jamais levée.

Oeuvres en rapport

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Etude pour le Pêcheur à l'épervier - Dessin au crayon - Musée d'Orsay (MSb-264)